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On sourit pour la photo
Entretien avec Jacques Gamblin et François Uzan
Avec On sourit pour la photo, Prix spécial du jury au dernier Festival de l’Alpe d’Huez, le scénariste François Uzan (Family Business, Lupin) signe une première comédie de vacances à l’irrésistible mélancolie, notamment portée par le grand Jacques Gamblin. Rencontre au sommet.
Avec On sourit pour la photo, Prix spécial du jury au dernier Festival de l’Alpe d’Huez, le scénariste François Uzan (Family Business, Lupin) signe une première comédie de vacances à l’irrésistible mélancolie, notamment portée par le grand Jacques Gamblin. Rencontre au sommet.
Qui n’a jamais souhaité revivre ces vacances idylliques gravées dans un vieil album de famille ? C’est ce que va faire Thierry (Jacques Gamblin) lorsque sa femme (Pascale Arbillot) décide de le quitter. Ni une ni deux : il embarque ses déjà vieux enfants en Grèce pour revisiter les lieux de leurs plus belles vacances, « Grèce 98 » ; Pablo Pauly (Murder Party), Agnès Hurstel (Jeune et Golri) et le youtubeur Ludovik complètent le casting de cette comédie pleine d’humour et de tendresse.
FRANÇOIS, AVEZ-VOUS EU L’IDÉE DE CE FILM EN VOUS PLONGEANT DANS DE VIEILLES PHOTOS DE VACANCES ?
François Uzan : L’idée m’est venue suite à deux événements : d’abord des vacances passées tardivement, à plus de 30 ans, avec mes parents. Rien à voir avec ce qui arrive dans le film, mais je les ai racontées à mon ami producteur Anthony Lancret en rentrant. Il m’a demandé : « Tu es sûr que tu ne veux pas en faire un film ? » Le personnage de Thierry, lui, m’a vraiment été inspiré d’une anecdote personnelle. Je me souviens d’avoir filmé mon père pendant toute une semaine de vacances et, à la fin, j’ai perdu la carte mémoire ! J’étais tétanisé. J’avais l’impression d’avoir perdu mon père, alors que j’avais simplement perdu un bout de plastique ! (Rires.) J’ai réalisé que cela tenait de l’obsession pour des vidéos que je n’aurais jamais regardées ensuite. J’avais simplement besoin de stocker des Giga de souvenirs numériques pour être rassuré… or les souvenirs il ne faut pas les mettre au coffre, il faut les célébrer !
THIERRY, LUI, EST EFFECTIVEMENT UN OBSESSIONNEL…
François Uzan : Les souvenirs il les sort, il les classe, mais il en oublie que c’est le meilleur moyen pour les faire disparaître !
POURQUOI LA GRÈCE ?
François Uzan : J’ai fait beaucoup de vacances autour de la Méditerranée et j’avais envie d’en retrouver les couleurs. J’ai dit à mon chef opérateur Philippe Guilbert : « Je voudrais un film en orange et bleu. » Je voulais qu’on sente le sel en rentrant de la plage, avec le petit coup de soleil bien placé… La Grèce, c’est aussi un pays dans lequel certains bâtiments sont gravés à jamais : l’acropole, le temple d’Aphaïa… D’un autre côté, les Grecs ont vécu des bouleversements majeurs ces dernières années ! Ce contraste m’amusait.
ON VOIT D’AILLEURS QUE LES LIEUX N’ONT PAS CHANGÉ DEPUIS LES PREMIÈRES VACANCES DE LA FAMILLE HAMELIN. QUAND LES PAYSAGES RESTENT INTACTS, LES ÊTRES HUMAINS, EUX, VIEILLISSENT…
Jacques Gamblin : On vieillit sans le voir, bien sûr. Lorsque Thierry dit : « L’hôtel n’a pas changé, comme nous ! », il le dit de façon tout à fait sincère ! C’est comme lorsqu’on se retrouve avec des copains de la même génération ; on va déconner de la même manière qu’à nos 18 ans. Il y a d’autres endroits où l’on se rend compte qu’on a vieilli, comme au réveil devant le miroir (rires).
François Uzan : C’est comme dans Alice au pays des merveilles ; on emprunte un tunnel spatio-temporel (rires). On se convainc que rien n’a bougé, mais les photos sont là pour le contredire. On s’y voit vieillir. Je sais qu’il existe une ou deux photos de moi devant lesquels je me dis que je n’ai jamais été aussi beau. On a l’impression que je sais jouer au foot alors que pas du tout, il y a un rayon de soleil qui traverse la pellicule… C’est formidable et terrifiant en même temps, car on réalise qu’il n’en reste plus qu’une photo ! Il faut faire attention, car on peut se transformer en Narcisse : à force de se plonger dans les albums pour essayer de revivre ses souvenirs, on risque de tomber au fond du trou pour ne plus en ressortir. C’est un peu ce qui arrive à Thierry…
ON PENSE À CETTE SCÈNE DE DANSE QUE THIERRY TENTE DE REJOUER À L’IDENTIQUE AVEC SA FEMME EN GRÈCE… LÀ, IL PARVIENT POURTANT À RETROUVER L’IDÉAL DE LA PHOTO !
François Uzan : C’est précisément ce qui me plaît dans cette scène, où le présent dépasse furtivement le passé. Mais ce n’est qu’un instant… cela ne peut être qu’un bref instantané. Le reste du temps, ça n’est pas aussi simple…
LE FILM EST UNE COMÉDIE ASSUMÉE MAIS IL CHARRIE AUTRE CHOSE, COMME UNE MÉLANCOLIE AUX ACCENTS PLUS DRAMATIQUES. C’EST LA COMBINAISON IDÉALE ?
François Uzan : Chaque fois que je versais trop dans la comédie, je me disais : « N’oublie pas que tout cela vient de tes névroses, donc traite-les avec respect. » Puis lorsque le récit devenait trop psychologisant, je réalisais à quel point c’est parfois plus élégant de faire rire. Il y a certes une recherche d’efficacité comique, et je n’ai pas peur de ce mot. Je ne suis jamais aussi heureux que face à des spectateurs hilares. Je m’en nourris presque ; pour certains c’est le soleil, pour moi ce sont les rires dans l’obscurité d’une salle. Mais le but est aussi de toucher les gens, de faire en sorte qu’ils repartent avec un beau sandwich : c’est-à-dire composé de deux tranches de rire avec une touche de mélancolie au milieu. Si je peux leur soutirer une petite larme, ce n’est pas simplement de la crapulerie émotionnelle ; c’est tout bonnement la raison pour laquelle je fais ce métier. Après, je tends le fil mais c’est aux acteurs de marcher dessus. Jacques a ce côté funambule. Son corps est un instrument, et c’est lui qui a su trouver l’équilibre parfait entre lourdeur et séduction – entre comédie et tendresse. Lui et Pascale [Arbillot] se sont livrés à un formidable numéro de duettiste en la matière.
Jacques Gamblin, Pablo Pauly, Agnès Hurstel – On sourit pour la photo | Copyright Céline Nieszawer
ON RETROUVE EFFECTIVEMENT CHEZ JACQUES CE MÉLANGE DE GRAVITÉ ET DE SENSIBILITÉ QU’ON LUI CONNAÎT.
François Uzan : Pour moi, c’est la somme de Gene Kelly et Louis de Funès !
Jacques Gamblin : Ça laisse un peu d’espace ! (Rires.) La grande erreur d’un comédien serait de ne pas assumer les défauts de son personnage. Si tu t’excuses en jouant, c’est cuit. Là, on pourrait se dire que Thierry est un peu gonflé mais je l’ai pris comme un tremplin vers la raison pour laquelle il agit comme tel : l’amour. Il n’y a pas de meilleure raison ! On peut donc le pardonner et il devient attachant ; au cinéma, on peut tout pardonner à quelqu’un qui nous fait rire.
FRANÇOIS, VOUS ÊTES SCÉNARISTE À LA BASE. QU’EST-CE QUI A ÉTÉ LE PLUS DIFFICILE DANS LE FAIT DE PASSER DU TEXTE À L’IMAGE ?
François Uzan : Je n’avais qu’une trouille : filmer 120 pages de papier. Or pour passer du texte à l’image il faut élaguer, rencontrer ses comédiens et leur donner la possibilité de s’emparer des personnages. De temps en temps la part de scénariste en moi se disait : « Oui, mais ce n’est pas exactement le dialogue que j’ai écrit… » Heureusement, je reprenais vite ma casquette de cinéaste et réalisais qu’il faut toujours lâcher du lest sur un tournage. Lors de la scène finale sur le banc, Jacques et Pascale m’ont par exemple fait retirer quelques lignes de dialogue. Il a fallu leur faire confiance à cet endroit, et ce sont eux qui avaient raison.
FRANÇOIS, VOUS PARLIEZ DU FAIT QUE LES ACTEURS SE SONT EMPARÉS DU PERSONNAGE. JACQUES, QUEL A ÉTÉ LE PROCESSUS ?
François Uzan : Il faut dire que si le texte a été globalement respecté, pour moi le personnage de Thierry met aussi en jeu la gestuelle et je n’aurais pas pu l’écrire. Je revois une scène où il se cambre en regardant son gendre ; ce mouvement hilarant n’existait pas sur le papier. Jacques est allé le chercher dans un éther qui se situe en-dehors…
Jacques Gamblin : Un personnage n’existe pas concrètement ; il ne devient réel que lorsqu’il est interprété par quelqu’un. C’est donc une rencontre, qui se fait sur un carrefour ou entre deux draps lorsqu’on lit le scénario. On se dit : « Qu’est-ce qui est moi en lui ? Qu’est-ce qui est lui en moi ? » Ce n’est pas seulement nous qui rentrons dans sa peau, c’est lui qui a besoin de nos yeux et de notre peau qui frissonne pour exister ! C’est un vrai voyage. On se demande comment ce personnage nous impacte, si certaines choses nous dérangent chez lui… Cela occasionne des vibrations. Un scénario, c’est comme une planche de bois : on le pose et il travaille, il joue, il sèche. On n’y pense plus mais il continue de travailler en soi. Hormis le temps très concret de l’apprentissage des dialogues, avec l’expérience je mets beaucoup moins de stakhanovisme dans le travail ; je me laisse pénétrer par les choses et je fais confiance à ce qui se fait presque malgré moi. Et puis un beau jour, le tournage commence. Là, le bois a travaillé et a produit un meuble : idéalement un beau, avec des tiroirs profonds (rires). La métaphore se joue vraiment à cet endroit !
Visuels de couverture & illustration : Jacques Gamblin, Pascale Arbillot – On sourit pour la photo | Copyright Céline Nieszawer
11 mai 2022