MON LÉGIONNAIRE

Corps à cœur

Maxime (Louis Garrel), légionnaire aguerri, et Vlad (Aleksandr Kuznetsov), nouvelle recrue, sont déployés au Mali au gré de missions militaires. Des mois durant, ils quittent leur famille et les plongent dans l’attente. Maxime a une femme, Céline (Camille Cottin), et un fils, tandis que Vlad vit une passion fragile avec la jeune Nika (Ina Marija Bartaité). Mon Légionnaire embrasse le parcours intime de ces couples où les hommes sont partagés entre l’amour d’une patrie qu’ils défendent et l’attachement qu’ils éprouvent à l’égard de leur famille.

À 37 ans, Rachel Lang, dont le film de fin d’étude – Pour toi je ferai bataille – avait remporté le Léopard d’argent du festival de Locarno en 2010 et qui avait été remarquée pour son premier long métrage Baden Baden (2016), jouit d’un parcours relativement hors norme. Elle conjugue ses activités de réalisation à son poste de lieutenant de réserve pour l’Armée de terre. Une expérience militaire qui nourrit clairement son désir de raconter les légionnaires, l’un des corps les plus emblématiques (et les plus fantasmés) de l’armée. Avec un regard très documenté, elle filme leurs missions périlleuses dans les conditions extrêmes d’un désert sablonneux.

Une poétique de la séparation

Mais Mon Légionnaire, comme le suggère si joliment son titre, est aussi et surtout narré du point de vue de femmes qui, telles des Pénélope au cœur endurci, attendent le retour de « leur » Ulysse. Avec une tendresse certaine, la caméra de Rachel Lang se greffe à leur impatience, leurs craintes ou leurs doutes. Si le couple formé par Maxime et Céline est rompu à l’exercice, tirant de la douleur de la séparation une vraie force d’abnégation, l’autre tandem est mis à rude épreuve. Jeune couple encore instable, Vlad et Nika incarnent le versant ténébreux du film, leur amour mutuel menaçant de plier face aux exigences de la Légion.

Dans le rôle complexe de Nika, dont la personnalité introvertie contraste avec la gaieté naturelle de Céline, la Lituanienne Ina Marija Bartaité (tragiquement disparue cette année) est inoubliable. Sa beauté glaciale, presque instantanément mélancolique, traduit bien ce sentiment d’absence à soi-même que ressentent les amoureux délaissés. Mon Légionnaire déroule ainsi sa subtile poésie, qui passe par une polarité singulière. D’un côté le spleen de la désillusion sentimentale, qui condamne la secrète Nika, et de l’autre la chaleur orageuse dans laquelle baignent ces légionnaires, dont les corps saillants rappellent les chorégraphies militaires du culte Beau travail, réalisé par Claire Denis en 2000.