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TRE PIANI
Du Moretti à tous les étages
Avec ce film choral à la beauté sombre, Nanni Moretti sonde une société italienne désabusée via le destin de trois familles d’un même immeuble.
Avec ce film choral à la beauté sombre, Nanni Moretti sonde une société italienne désabusée via le destin de trois familles d’un même immeuble.
Tout commence par un double événement qui prend place dans la banlieue romaine : la mort brutale d’un jeune homme qui renverse une femme avant de s’encastrer dans le mur d’un immeuble. Puis la naissance d’un bébé, mis au monde par une résidente (Alba Rohrwacher) de ce même immeuble cossu. La jeune femme l’élève seule en attendant le retour d’un mari absent. Les parents du chauffard, d’éminents juges (incarnés par Nanni Moretti himself et Margherita Buy), habitent un étage au-dessus. Enfin, au rez-de-chaussée, vit un couple de jeunes parents, dont l’apparente normalité dissimule mal la personnalité obsessionnelle du père (Riccardo Scamarcio). Divisé en trois actes étalés sur dix ans, Tre Piani donne à voir le délitement progressif de ces trois cellules familiales a priori sans lien, leur relation de voisinage les amenant pourtant à entrelacer leur destin.
Un mélo d’une grande maturité
Assagi, Moretti ? En apparence seulement, car Tre Piani est effectivement un projet singulier dans son œuvre culte. Première adaptation littéraire (en l’occurrence d’un roman iranien) pour le cinéaste, il s’agit aussi de l’un de ses films où il est le plus en retrait devant la caméra. Il y sublime d’autres visages, qui apparaissent comme le panorama générationnel des grands acteurs italiens de notre époque. S’il s’agit d’un récit choral, on est loin des excès baroques d’un Wes Anderson : ici, le vieux sage Moretti opte pour une un rythme plus gracile, la pudeur de la mise en scène conférant au résultat une grande subtilité émotionnelle. Tout en lyrisme contenu, Tre Piani a des allures de mélodrame intemporel, porté par le style d’un réalisateur qui a atteint une aisance et une maturité totales. En deux temps trois mouvements, il nous balade d’un étage à l’autre, d’une temporalité à l’autre, et fait s’entrecroiser les récits en un ballet gracieux.
Pour autant, le cinéaste transalpin ne se prive pas de donner parfois à son film une touche de surnaturel, comme lorsqu’une résidente reçoit la visite impromptue d’un corbeau… C’est cette extrême délicatesse qui finit par émouvoir puis bouleverser, Moretti filmant ses personnages dans leurs failles les plus intimes comme les plus familières (une mère tiraillée entre mari et fils irréconciliables, un père maladivement soupçonneux quant aux agissements de son voisin sur sa fille, etc.). On l’aura compris, Tre Piani traite de la difficulté du vivre-ensemble dans une société ultra compartimentée, qui alimente l’incommunication et la méfiance.
Des sujets forts qui résonnent avec la filmographie du réalisateur, chargée d’un flamboyant humanisme au-delà de tout jugement.
10 novembre 2021