Revoir Paris

Rencontre avec Virginie Efira & Alice Winocour

À Paris, Mia est victime d’un attentat en pleine brasserie. Trois mois plus tard, alors qu’elle n’a toujours pas réussi à reprendre le cours de sa vie et qu’elle ne se rappelle l’évènement que par bribes, elle décide d’enquêter dans sa mémoire pour retrouver le chemin d’un bonheur possible.

ALICE, VOTRE FILM S’INSPIRE DE L’EXPÉRIENCE DE VOTRE FRÈRE, RESCAPÉ DE L’ATTENTAT DU BATACLAN EN 2015. MAIS COMMENT S’EST-IL IMPOSÉ À VOUS ?

Alice Winocour : Entre l’attentat du Bataclan et Revoir Paris, j’ai réalisé Proxima (2019), qui a plutôt la tête dans les étoiles. Mais je crois avoir été rattrapée par l’histoire de mon frère, et le film s’est inconsciemment imposé à moi. Il a fallu ensuite laisser s’installer le temps de la fiction ; j’avais besoin de me détacher des faits réels et d’imaginer l’histoire de cette femme. Le résultat final est fidèle aux témoignages de rescapés, non seulement de mon frère mais aussi de ceux que j’ai lus sur des forums internet. Dans les jours qui ont suivi l’attentat, des gens qui s’étaient simplement souri ou tenu la main tentaient de se retrouver. Quand les occasions de sortir de son monde, de sa classe sont d’habitude très fugaces, ces situations extrêmes écrasent les barrières sociales. On le voit à travers ces gens rencontrés par Mia, qui appartiennent à différentes strates de la société française.

Virginie Efira : Je pense au témoignage d’un médecin qui est intervenu pendant les attentats. Il était sidéré par la réaction de certains blessés, qui lui disaient d’emblée : « Occupez-vous plutôt de celui-ci, il est plus mal que moi. » Au paroxysme de l’horreur, il subsiste comme une humanité instinctive. Le film touche à cela. La réponse à la barbarie n’est pas cérébrale, c’est un élan qui est le seul possible et qui est celui de tendre la main.

AVEZ-VOUS RAPIDEMENT FANTASMÉ VIRGINIE EFIRA POUR CAMPER CE RÔLE ?

Alice Winocour : Au début de l’écriture, le rôle n’était pas spécialement prévu pour une actrice française. Je m’étais dit : « Mon héroïne doit arriver à Paris comme une étrangère. » Au fil du temps, j’ai réalisé que ce serait encore plus fort si cette femme était étrangère à sa propre ville. Il fallait donc qu’elle soit Française, et j’ai immédiatement pensé à Virginie. J’avais envie de travailler avec elle depuis longtemps. Elle partage avec Benoît [Magimel] le fait de dégager une empathie immédiate, notamment par ses choix de rôles. Je me suis sentie très chanceuse de les avoir tous les deux !

VIRGINIE, VOTRE RÔLE EST ASSEZ MYSTÉRIEUX. COMMENT JOUER UN PERSONNAGE QUI NE VIT QU’AU PRÉSENT ?

Virginie Efira : Juste après l’attentat, Mia réagit de façon assez volontaire. Elle se dit : « Allez, on avance. » Sauf qu’elle est forcée de constater que rien ne sera plus comme avant. Comment faire alors ? Il n’y a effectivement plus de passé ni d’avenir ; Mia doit regarder l’autre et sortir de soi, ni plus ni moins. Pour me diriger, Alice m’a dit : « Tu es présente et absente en même temps. » Elle est coincée dans un espace mental fait projections et d’images manquantes, elle a comme une inaptitude à ressentir et à nommer les choses. Quelque part, elle n’est plus dans le monde des vivants.

Alice Winocour : Pour une comédienne, interpréter un personnage qui est déconnecté de son propre corps n’est pas facile. On lui demande précisément de ne pas trop s’incarner. Cela passe par le regard, et on a beaucoup travaillé là-dessus en amont ; Virginie devait se connecter très fortement à ceux qu’elle rencontrait, tout en regardant toujours un peu ailleurs. Ses yeux devaient témoigner de cet entre-deux mondes, et d’ailleurs elle voit des fantômes. On a notamment parlé du film Dead Zone de David Cronenberg (1983), où le héros est comme spectateur de sa mémoire.

ALICE, COMMENT AVEZ-VOUS PENSÉ L’INTÉGRATION DES FLASHES QUI PONCTUENT LE FILM ET NOUS FONT ENTRER DANS L’ESPRIT DE MIA ?

Alice Winocour : Ce n’est pas comme les flashbacks qu’on voit d’habitude au cinéma. Ceux de Revoir Paris le sont, mais au sens psychiatrique du terme ; on appelle cela la « mémoire récurrente involontaire », c’est-à-dire que le personnage est enfermé dans sa mémoire traumatique et que la scène en question continue de vivre en lui. Un son ou une image évoquant le drame va le faire immédiatement rebasculer dans ce moment. Les psychiatres appellent ces épisodes des « effractions psychiques » au sens où ils court-circuitent la conscience. J’ai essayé de les traduire organiquement dans le film, notamment via le montage son.

LA SCÈNE DE L’ATTENTAT EST PARTICULIÈREMENT RÉALISTE. VIRGINIE, COMMENT PARVIENT-ON À S’IMMERGER DANS DES SCÈNES QUI PARAISSENT AUSSI INCONCEVABLES À CEUX QUI NE LES ONT PAS VÉCUES ?

Virginie Efira : Je ne pense pas qu’on puisse réellement s’y préparer, ni moi ni mon personnage d’ailleurs. Lorsqu’on a tourné la scène, un figurant m’a dit : « On a vraiment ressenti les choses comme si on y était ! » Je lui ai instinctivement répondu : « Mais non, on n’a rien ressenti du tout puisqu’il y a une table à côté de nous avec de l’eau et des gâteaux. On est dans la représentation. » Certes, malgré qu’il soit inconcevable de se mettre à la place des victimes, un acteur cherche forcément à activer un phénomène de croyance lorsqu’il tourne. Entre « action » et « coupez », on croit réellement à ce qu’il se passe puisqu’on est dans l’action. Il y a une forme d’indécence à en parler comme si on l’avait vécu mais, lorsqu’on tourne, on fait tout pour ressentir les choses au plus près. Ce qui est intéressant, c’est aussi qu’on a démarré le tournage avec cette scène.

Alice Winocour : Avant le tournage, mon frère m’a fait comprendre qu’il était impensable de vouloir représenter un attentat. Il m’a conseillé de m’orienter plutôt vers une forme d’onirisme, et c’est pour cette raison qu’on voit des fantômes dans les film. J’ai l’impression que toutes les directions de mise en scène étaient guidées par une certaine abstraction, au point qu’on se demande même s’il s’agit d’un cauchemar. Pour tourner la scène d’attentat, j’ai donc cherché à rester dans la subjectivité des victimes ; il fallait traduire le choc, le basculement soudain entre un monde normal et un monde en guerre. C’est ce qui a présidé au fait de tourner en studio, afin de m’orienter au maximum vers l’esthétique du film de guerre. Tout d’un coup, une scène de guerre vient briser ce qui ressemblait de prime abord à un drame français. C’est vraiment ce que les victimes ressentent. De la même manière, j’ai cherché à ne représenter que ce qu’une victime peut voir ; c’est-à-dire très peu de choses. J’ai voulu éviter à tout prix l’illustration objective.

^{Visuels de couverture & illustration : Virginie Efira, Benoît Magimel – Revoir Paris | Copyright Pathé Distribution / Virginie Efira – Caprice | Copyright Pyramide Distribution / Alice Winocour | Copyright ARP Sélectio}