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LES MAGNÉTIQUES
Rencontre avec Vincent Maël Cardona
C’est l’une des belles surprises du mois : un premier film mené d’une main de maître qui nous replonge au cœur d’une génération 80 éprise de rock et de liberté. Rencontre avec son réalisateur passionné, qui s’est livré sur sa vision de l’époque.
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C’est l’une des belles surprises du mois : un premier film mené d’une main de maître qui nous replonge au cœur d’une génération 80 éprise de rock et de liberté. Rencontre avec son réalisateur passionné, qui s’est livré sur sa vision de l’époque.
LES MAGNÉTIQUES - Rencontre avec Vincent Maël Cardona - ILLIMITÉ
Ambitieux et profondément singulier, Les Magnétiques fait d’une petite ville de province française le théâtre d’un affrontement tragique entre deux jeunes frères, Philippe et Jérôme, férus de radio libre et d’expérimentations sonores. À l’aube d’une nouvelle ère marquée par l’élection de François Mitterrand, le départ de Philippe pour le service militaire va le faire grandir tout en creusant définitivement l’écart avec le reste de sa famille…
La France des années 1980 que vous dépeignez dans le film a quelque chose de très authentique. Quel lien entretenez-vous avec cette génération ?
Vincent Maël Cardona : C’est vrai que le film, de loin, peut ressembler à une évocation de ce que j’aurais moi-même pu vivre. Or, pas du tout car je suis né en 1980, donc autant vous dire que je n’ai pas connu cette période. J’observe que la génération actuelle peut parfois ressentir une forme de nostalgie à l’égard d’un monde qu’elle n’a pas connu ; une émotion particulière est en jeu. En tant que cinéaste, elle m’intéresse beaucoup. Personnellement, j’appartiens à une génération dite de « l’entre-deux » car je me situe entre ceux qui ont vingt ans aujourd’hui et ceux qui avaient vingt ans en 1980, soit mes personnages. On a une jambe dans le monde analogique et une autre dans le numérique, ce qui provoque un vrai sentiment d’écartèlement…
Vous filmez une jeunesse prise dans un paradoxe, entre l’ouverture à une forme de liberté et une réalité sociale pleine de désillusions. En quoi cela fait-il écho aux nouvelles générations ?
La jeunesse de l’époque a effectivement ressenti cette ouverture à mille possibles et, en même temps, elle a toujours peiné à y croire. Elle a eu du mal à s’inscrire dans une sorte de futur bienveillant. Les Magnétiques parle d’une certaine jeunesse : celle qui écoutait une scène underground relativement confidentielle, diffusée sur les radios libres. C’est la face B des années 1980, si je puis dire, mais j’ai l’impression que ce rapport au monde s’est renforcé chez les nouvelles générations. Le « No Future » de ceux qui ont vingt ans aujourd’hui me semble plus fort que celui des années 1980 : notre quotidien est carrément ponctué par la question de la lutte contre l’extinction de notre espèce ! Plus de gens se sentent concernés, comme si ce qui était relégué à l’avant-garde à l’époque s’était démocratisé. Dans les festivals, Les Magnétiques repart souvent avec un prix des lycéens. Cela signifie que l’état d’esprit du film parle à la jeunesse actuelle, ce qui n’est pas anodin.
« J’ai voulu filmer une jeunesse rurale intemporelle »
Timothée Robart porte Les Magnétiques avec une grâce extraordinaire. Qu’est-ce qui vous a séduit chez lui ?
Mon directeur de casting a eu l’idée de Timothée, puis c’est devenu une évidence puisqu’il a lui-même un rapport au son très prononcé. Il se dit avant tout perchman puisqu’il a une formation d’ingénieur du son, ce qui était très précieux pour moi. En tant qu’individu, il fait partie de ces rares personnes qui dégagent une puissante cinégénie : on ne se lasse pas de le regarder, même lorsqu’il effectue les gestes les plus anodins. Cela tient à ce qu’il est, à son intelligence, à son charme, à son corps polymorphe… C’est un très grand acteur.
Il y a peu de films pour lesquels on puisse dire qu’ils sont « sonores », or Les Magnétiques est de ceux-là. Qu’est-ce qui vous fascine dans le son au cinéma ?
J’avais clairement l’ambition de mettre avant la puissance sonore propre à cette période. Une espèce d’effervescence, d’inventivité au niveau musical. La quasi-totalité des courants de la musique actuelle se sont cristallisés à l’avant-garde de cette époque ; c’est notamment lié à l’arrivée des synthétiseurs et donc à l’électronisation de la musique. Le beat, une notion fondamentale pour la musique contemporaine, s’est inventé à ce moment-là. Dès le départ, il avait la dimension mélancolique qu’on lui connaît, ce que je trouve stupéfiant. C’est pour cette raison que bon nombre de musiques de l’époque n’ont rien perdu de leur pertinence et, étant donné que le film a été pensé comme une passerelle entre hier et aujourd’hui, il était évident que la musique jouerait un rôle central.
Le son permet à vos personnages de dire ce qu’ils ressentent, souvent de façon littérale puisqu’ils enregistrent des messages sur cassette ou se servent de la musique pour s’avouer leurs sentiments.
On a beaucoup utilisé les objets liés à la musique, qui sont pour la plupart en voie de disparition aujourd’hui. La cassette est l’un des personnages principaux du film, précisément car elle représente l’époque où le son existait de manière organique. Aujourd’hui, on s’envoie des fichiers dématérialisés ; on a perdu quelque chose en cours de route. Non pas qu’il faille revenir à la cassette, mais il me semble important de veiller à ne pas se couper trop radicalement d’un rapport physique au monde. L’époque était donc pour moi l’occasion de filmer la matérialité sonore. De la même façon, la technologie a permis l’évaporation d’une distance qui existait auparavant ; lorsque Philippe, le héros, découvre un message vocal de Marianne [la fiancée de son frère qu’il aime en secret, ndlr] sur la cassette qu’elle lui a laissée avant qu’il parte effectuer son service militaire, c’est soudain très précieux. C’était une manière très simple, presque bricolée, de sublimer ce moment inouï où l’on prend conscience que nos sentiments vis-à-vis de quelqu’un sont réciproques.
De la même façon, le film est narré en voix off. Vous qui parlez de mélancolie, c’était le procédé de mise en scène rêvé pour retranscrire ce sentiment ?
La voix off est pensée comme une déclaration d’amour à plusieurs échelles. Au premier degré, c’est d’abord une déclaration de Philippe pour son frère décédé Jérôme. Philippe lui raconte cette histoire comme il la raconte au spectateur. Dans le même temps, la voix off remet en scène ma conception toute personnelle de ce qu’est la radio : une sorte de signal de détresse. « Mayday », qui est inspiré du français « M’aider », c’est ça : on parle dans un micro sans savoir si on sera écouté, comme lorsqu’on parle à nos morts. Cela m’évoquait aussi la réalité d’un premier film, d’un point de vue plus poétique. On prend la parole mais, pareillement, on ne sait pas si quelqu’un nous recevra…
Photo Marie Colomb, Thimotée Robart – Les Magnétiques | Copyright Paname Distribution
De la même façon, le film est narré en voix off. Vous qui parlez de mélancolie, c’était le procédé de mise en scène rêvé pour retranscrire ce sentiment ?
La voix off est pensée comme une déclaration d’amour à plusieurs échelles. Au premier degré, c’est d’abord une déclaration de Philippe pour son frère décédé Jérôme. Philippe lui raconte cette histoire comme il la raconte au spectateur. Dans le même temps, la voix off remet en scène ma conception toute personnelle de ce qu’est la radio : une sorte de signal de détresse. « Mayday », qui est inspiré du français « M’aider », c’est ça : on parle dans un micro sans savoir si on sera écouté, comme lorsqu’on parle à nos morts. Cela m’évoquait aussi la réalité d’un premier film, d’un point de vue plus poétique. On prend la parole mais, pareillement, on ne sait pas si quelqu’un nous recevra…
Le service militaire est l’un des grands axes narratifs du film. Qu’est-ce qui a suscité en vous le désir de filmer ce passage obligé inscrit dans une autre époque ?
En premier lieu les photos de famille, que je trouve extrêmement émouvantes. Ce sont des motifs, des images, avec cette répétition de l’uniforme et du jogging bleu… Puis cette institution étrange où, d’un coup, une classe de jeunes garçons à peine sortis de l’enfance et issus de tous les milieux sociaux se retrouvaient à jouer au soldat. Il y a quelque chose de l’épreuve initiatique du rituel, à la fois très dure en ce qu’elle arrachait ces hommes à leur quotidien et exaltante en ce qu’elle provoquait des rencontres improbables sur fond de camaraderie. On est dans le romanesque ; c’était souvent le temps de l’aventure, du premier grand voyage en train… Pour toutes ces raisons, j’ai ardemment désiré faire figurer le service militaire dans le film, d’autant plus que peu de films ont traité ce rite qui a pourtant marqué notre société au fer rouge.
La province rétro que vous filmez a quelque chose de très « spielbergien », cinéaste qui a profondément marqué la génération 80…
Dans mon traitement esthétique, j’ai tenté de trouver un équilibre entre le naturalisme à la Maurice Pialat et une forme de sublimation. Celle-ci provient peut-être d’un cinéma plus américain mais, personnellement, je l’hérite davantage d’un Michael Cimino que d’un Steven Spielberg. Ce qui est certain, c’est que la province nous façonne tous. En un sens, je pense qu’on ne s’extrait jamais du sentiment d’être provincial puisqu’on a tous l’impression de ne pas être tout à fait à la bonne place. La province, en tant qu’elle est à la fois un poids et une grâce, est pour moi un matériau profondément affectif. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai refusé de faire un film sur un groupe de musique ou sur une radio célèbre de l’époque. Non, j’ai voulu filmer une jeunesse rurale intemporelle.
Photo Thimotée Robart – Les Magnétiques | Copyright Celine Nieszawer
Photo de couverture : Thimotée Robart – Les Magnétiques | Copyright Paname Distribution
En salles le
17 novembre 2021
17 novembre 2021