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Goliath
Entretien avec le réalisateur Frédéric Tellier
Après Sauver ou périr (2018) qui suivait Pierre Niney en pompier héroïque, Frédéric Tellier retrouve l’acteur, aux côtés de Gilles Lellouche et Emmanuelle Bercot, pour ce thriller politique sur fond de lutte anti-pesticides. Rencontre.
Après Sauver ou périr (2018) qui suivait Pierre Niney en pompier héroïque, Frédéric Tellier retrouve l’acteur, aux côtés de Gilles Lellouche et Emmanuelle Bercot, pour ce thriller politique sur fond de lutte anti-pesticides. Rencontre.
Articulé autour de trois points de vue, comme autant de regards sur la crise écologique, Goliath voit s’affronter une militante écologiste (Emmanuelle Bercot), un avocat en droit environnemental (Gilles Lellouche) et un lobbyiste en agrochimie (Pierre Niney), après le suicide tragique d’une agricultrice. Cet événement tragique est le point de départ d’un bras de fer entre le trio, et met les décisionnaires du Parlement européen face à leurs responsabilités.
Le générique d’ouverture indique ironiquement que toute ressemblance avec des événements ou personnages réels « n’est pas complètement fortuite »…
Frédéric Tellier : Pour l’anecdote, c’est un hommage à Z de Costa-Gavras (1969) qui, lui, déroulait ce carton en fin de film. Tous les chiffres et les faits repris dans Goliath sont vérifiés ; ces derniers se sont greffés à des personnages qui, eux, sont inventés. Pour dire vrai, j’avais envie de réaliser un film universel sur le sujet. C’est pourquoi le nom du pesticide en cause n’est pas le glyphosate, qui existe, mais la « tétrazine » qui est imaginaire.
À travers Goliath, j’aborde ce qui me contrarie le plus, à savoir la destruction de l’homme par l’homme. Le faire par la fiction permet aussi d’émouvoir, en branchant un sujet de société à des trajectoires personnelles, familiales, amoureuses, etc.
Le scénario du film est tiré d’une longue enquête qui s’est déroulée sur cinq ans. Quel souvenir en gardez-vous ?
Ce n’est pas un dogme chez moi, mais la réalité m’inspire. C’est une manière positive de dire les choses ; négativement, on pourrait dire que je n’ai pas beaucoup d’imagination (rires). Si la charge émotionnelle d’un fait réel est incomparable, elle suppose un travail d’enquête au préalable.
Cela a été particulièrement difficile sur Goliath car c’est un milieu très secret. Il n’a pas suffi que je décroche mon téléphone ; et au début je ne savais d’ailleurs pas qui appeler ni comment. J’ai d’abord aggloméré diverses informations, puis j’ai sollicité l’aide de conseillers sur chaque segment du film.
Comment avez-vous abordé l’ambivalence de vos trois personnages principaux, et en particulier de celui campé par Emmanuelle Bercot, qui s’investit dans cette lutte avec ses tripes ?
J’ai d’abord rejeté la caricature. J’aurais pu tailler mes personnages à la façon de Gordon Gekko dans Wall Street d’Oliver Stone (1988), mais j’ai opté pour le réalisme. J’aurais pu faire du lobbyiste campé par Pierre Niney un antihéros machiavélique, qui récupère des mallettes de billets à droite à gauche, mais je ne crois pas que ce soit la réalité. En revanche j’en ai fait un jeune homme flamboyant, capable de retourner la tête de n’importe qui. On l’écoute parler et on se dit : « Tiens, c’est pas faux ce qu’il raconte. Il a l’air cool, en plus… et puis parfois j’aimerais bien avoir son opulence. »
C’est pareil pour la militante incarnée par Emmanuelle Bercot, qui guide tout le film. C’est une femme ordinaire qui, pour des raisons affectives, liées à la maladie non reconnue de son mari, n’a plus d’issue. Dès lors, que faire à part se battre ?
Elle se radicalise au sens le plus simple du terme : en passant de la parole à l’action. Moins sa voix est écoutée et plus son corps parle. J’ai été ébloui par l’interprétation d’Emmanuelle, qui a eu la délicatesse de ne pas tomber dans le piège du larmoyant.
Il y a un contraste saisissant entre les mondes dans lesquels évoluent le lobbyiste Mathias et la militante France. Comment avez-vous pensé cette fracture au sein du film ?
Mais ils ont des choses en commun ! Ils font tous les deux des anniversaires, des fêtes… Ce sont des mondes antinomiques mais leurs vies comportent des similitudes ; il y a de grandes joies, de grandes peines, des enfants qui naissent…
La séparation s’effectue d’un point de vue moral, au sens de l’éthique : comment chacun décide de mener sa vie. Cet écart grandit au fil du film, jusqu’à atteindre un point de non-retour. Mais dans la forme, je me dis parfois que si un extraterrestre nous regarde de sa planète, il doit se dire : « C’est drôle, ces gens qui sont si différents et pourtant si proches. »
Vous tournez un biopic sur l’Abbé Pierre. Quel lien faites-vous entre Goliath et ce prochain film ?
J’ai l’impression que plus j’avance, plus j’explore la nécessité de l’humanisme au milieu de nos sociétés. L’Abbé Pierre en fait partie, même si c’est cette fois le point de vue d’un homme qui a dédié sa vie aux autres.
Il a prouvé que s’il pouvait s’engager, n’importe qui pouvait le faire. Il nous reste quatre semaines de tournage à l’été, le film sortira sans doute fin 2023.
Visuel de couverture : Goliath_22082020-405 @Caroline Dubois & illustrations : Goliath | Copyright Christine Tamalet / SINGLE MAN
09 mars 2022