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Enquête sur un scandale d’État
Pio Marmaï nous dit la vérité
Réalité et fiction se croisent dans le nouveau film de Thierry de Peretti (Les Apaches), où Pio Marmaï (En liberté !, La Fracture), véritable équilibriste, assoit une intelligence du jeu impressionnante. Rencontre.
Réalité et fiction se croisent dans le nouveau film de Thierry de Peretti (Les Apaches), où Pio Marmaï (En liberté !, La Fracture), véritable équilibriste, assoit une intelligence du jeu impressionnante. Rencontre.
Enquête sur un scandale d’État - Pio Marmaï nous dit la vérité
Enquête sur un scandale d’Etat, nouveau film de Thierry de Peretti, (Une vie violente), s’intéresse à la saisie de sept tonnes de cannabis par les douanes françaises à Paris en octobre 2015, puis aux recherches poussées menées par Stéphane Vilner, journaliste chez Libération, pour faire éclater les errances de la République. Son interprète principal, Pio Marmaï s’est confié sur son rôle à notre micro.
Racontez-nous la rencontre avec Thierry de Peretti, votre rapport à son cinéma et ce qui vous parlait dans ce film très ambitieux.
Pio Marmaï : À vrai dire, je connaissais tellement bien le cinéma de Thierry de Peretti que ça a influé sur l’envie et la jubilation qui m’ont traversé lorsqu’il m’a proposé de travailler avec lui. J’avais en tête des images extrêmement claires de ses films précédents, chose rare pour moi, Une vie violente et Les Apaches, et j’étais extrêmement sensible à la dimension plastique de son travail, à la photographie de Claire Mathon (la directrice de la photographie, Ndlr)… Au-delà du fait que Thierry travaille avec des amateurs – ce qui crée une sorte de rythmique dans le jeu que je n’ai pas l’habitude de voir en tant que spectateur –, il y a ces plans très particuliers que propose Claire. Au visionnage, je me disais que c’était des projets auxquels j’aurais voulu participer comme acteur.
Thierry de Peretti vous a soumis à une préparation assez particulière pour vous faire évoluer dans cette affaire tortueuse. Vous vous trouvez d’ailleurs dans les vrais locaux de Libération, tant et si bien que la rédaction semble elle-même être un personnage du film…
Lorsqu’on s’est vus pour la première fois, Thierry m’a tendu un scénario contenant 240 pages de texte extrêmement dense – comme l’est le film, d’une certaine manière. S’y trouvaient beaucoup d’explications et tout le tissage journalistique nécessaire pour rendre entendable ce réseau tentaculaire, cette mafia, cette espèce de dérive politique et judiciaire… Avec Thierry et Roschdy Zem, nous sommes partis dix jours en Corse et nous avons écouté tous les enregistrements audio qui existaient entre Emmanuel et Hubert, soit l’intégralité de ce qu’ils s’étaient dit pour écrire le livre sur cette affaire. Quand on vit une telle préparation – ce qui n’arrive jamais, ou presque, à un acteur –, il y a une manière très forte de s’emparer de la langue et des personnes que l’on va incarner. Ensuite, lorsque l’on tourne six mois et que l’on parle toute la journée du même sujet, il y a un moment où l’on ne fait plus le distinguo entre le réel et la fiction. Les plans-séquence – et il n’y a que ça dans le film – duraient chacun 35/40 mins, ce qui fait qu’à un moment, j’avais un peu perdu le fil. J’avais l’impression de maîtriser parfaitement ce que je faisais en termes de connaissances, mais c’était un peu vertigineux.
Le cinéma de Thierry de Peretti entretient un lien assez fort avec le documentaire… Enquête sur un scandale d’État est-il un film très écrit ?
Oui, il n’y a pas eu d’endroit d’improvisation, ou extrêmement peu. Avec la caméra qui tournait tout le temps, une espèce de magma se créait : les gens commençaient à parler un peu et puis, à un moment, je me rendais compte que la scène avait surgi. C’était une espèce de rythmique très bizarre, car il n’y avait pas le traditionnel « moteur, action, coupé ». Je constatais qu’il y avait un début de comité de rédaction et je comprenais que c’était parti : dix minutes plus tard, j’allais devoir exposer avec Alexis Manenti le rapport que j’avais avec ma source, le tonnage de cannabis dont il était question… Il y avait cette espèce de tension qui devait être à la fois palpable, retenue et puis, en même temps, on travaillait, on “était” journaliste, donc il y a une forme de normalité.
Comment vous êtes-vous plongé dans le personnage – très ancré dans le réel – de Stéphane ?
L’idée n’était pas de faire du mimétisme, de ressembler à ce que peut être Emmanuel dans la vie mais de me trouver vraiment dans cette précision de langage qu’il peut déployer. En l’entendant parler de lui, du trafic de stups et de sa relation avec Hubert, j’ai trouvé tout ce qu’il disait d’une limpidité folle… Lorsque Thierry me demandait de résumer ce qu’il m’avait expliqué, tout se catapultait dans ma tête. Pour que cette langue soit concrète quand je l’utilisais à l’écran, il me fallait tout connaître, savoir absolument de quoi je parlais. Quand on ingurgite 150 pages de texte qui ne parle que du même sujet, au bout d’un moment, on devient crédible. Je n’avais jamais autant travaillé sur une telle matière de connaissances, même si on ne le voit pas forcément tout le temps dans le film et qu’il y a aussi des scènes de normalité, de joie…
Si l’on suit une enquête, c’est aussi une histoire d’amitié qui se joue entre Stéphane, votre personnage, et Hubert, interprété par Roschdy Zem, avec un entremêlement de rencontres professionnelles et d’événements de la vie intime. Comment avez-vous travaillé avec lui sur ce rapport très nuancé ?
Je crois qu’une fois passés la véracité des sources et le témoignage d’Hubert, il y a un moment où l’on dépasse la confiance de base et où l’on touche à un rapport quasi fraternel, un lien qui implique un rapport d’amour, d’écoute, de tension et de haine, ce qui permet aussi un abandon assez fort envers l’autre. Il me semble que c’est ce que ces deux personnes ont vécu ; pour nous, l’idée était donc aussi de parcourir cette relation. Avec d’aussi longs plans-séquence, on est forcément avec l’autre, on s’abandonne ; personne ne va venir vous recoiffer en disant « C’est bon, on passe à la scène suivante ». Il y a une véracité dans la tension, dans le lien amical qui se crée, et cela fait partie de l’aventure d’aller éprouver ce que ça peut d’être deux personnes qui ne se connaissent pas. Pour ça, il faut vraiment aller au bout d’un processus et prouver quelque chose de cette amitié-là qui peut être destructeur et violent. Il faut s’investir, ce qui est très lié au rapport qu’entretient Thierry avec le travail via ces « tournages-fleuve ».
Cette expérience de jeu a-t-elle modifié la vision que vous aviez du métier de journaliste ?
La préparation et le tournage m’ont mis face à ce que je ne connaissais pas. Lorsqu’on ouvre le journal, on ne se rend pas compte que derrière un article se trouve une personne qui a travaillé des mois. Tout le travail pour arriver à ces articles m’était complètement extérieur, abstrait. C’était fascinant de voir les journalistes à l’œuvre au sein de la rédaction de Libération. J’étais spectateur et puis il a très vite fallu que j’essaie de participer à cet effort collectif parce que j’allais devoir faire comme si c’était mon travail. Il m’a donc fallu à la fois observer et voler des choses. C’était vraiment une aventure dingue.
Parlez-nous de vos prochains projets…
Je tourne actuellement Les Mousquetaires, réalisé par Martin Bourboulon, avec François Civil, Vincent Cassel, Romain Duris, Eva Green… Nous en sommes à notre 80ème jour de tournage et il nous reste encore 15 semaines !
Enquête sur un scandale d’état: Pio Marmaï, Alexis Manenti, Antonia Buresi | Copyright Les Films Velvet
Visuel de couverture : Pio Marmaï – Enquête sur un scandale d’état | Copyright Les Films Velvet
En salles le
09 février 2022
09 février 2022