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En même temps
Jonathan Cohen et Vincent Macaigne en interview
Collés l’un à l’autre et contraints de faire route ensemble, les deux héros de la nouvelle comédie signée Gustave Kervern et Benoît Délépine (Mammuth) expriment avec précision un certain état du monde. Leurs interprètes, Jonathan Cohen et Vincent Macaigne, analysent pour nous En même temps, une vraie soupape d’humanité.
Collés l’un à l’autre et contraints de faire route ensemble, les deux héros de la nouvelle comédie signée Gustave Kervern et Benoît Délépine (Mammuth) expriment avec précision un certain état du monde. Leurs interprètes, Jonathan Cohen et Vincent Macaigne, analysent pour nous En même temps, une vraie soupape d’humanité.
En même temps - Jonathan Cohen et Vincent Macaigne en interview
À la veille d’un vote visant à entériner la construction d’un parc de loisirs qui remplacerait une forêt primaire, un maire de droite décomplexée (Jonathan Cohen) essaye de corrompre son confrère écologiste (Vincent Macaigne). Après une discussion arrosée, les deux adversaires se font piéger par un groupe de jeunes activistes féministes qui réussit à les coller ensemble. Une folle nuit commence alors pour les deux hommes.
Quel rapport entreteniez-vous avec l’univers de Gustave Kervern et Benoît Délépine avant de vous lancer dans ce film ?
Vincent Macaigne : Groland ! (en montrant sa coque de portable à l’effigie de l’émission, lancée en 1992 par Benoît Délépine, entre autres, sur Canal+ et dans laquelle intervenait Gustave Kervern, Ndlr).
Jonathan Cohen : Oui, Groland ! Et leurs films, évidemment. Pour moi, la vraie rencontre a été Mammuth (sortie en 2010, avec Gérard Depardieu dans le rôle-titre, Ndlr), puis Saint-Amour. Et puis les grands acteurs avec lesquels ils ont travaillé…
Vincent Macaigne : Feel Good est génial, j’aime aussi beaucoup Effacer l’historique…
Jonathan Cohen : Ce sont de grands cinéastes dans leur créneau : la comédie sociétale. Ils ont une manière de raconter une histoire, de filmer les gens, de mettre le doigt sur des faits de société et, en même temps, d’avoir une certaine distance et une intelligence humble sur le sujet. C’est rarissime. En même temps, qui est un film avec une toile de fond politique, parle de féminisme, d’écologie, de tellement de sujets d’actualité… C’est fou à quel point Kervern et Délépine parviennent justement à trouver l’humour partout et à toujours y mettre assez d’intelligence pour que ce ne soit jamais évident.
Justement, si la plupart des scènes font appel au registre de l’absurde, on se demande où trouver la bonne mesure pour ne pas verser dans le grotesque, rester dans quelque chose qui soit à la lisière du crédible.
Vincent Macaigne : C’est un film qui n’est pas politique mais qui demande « On en est où, nous tous ? ». Les personnages sont comme des points très différents, même ceux qui interviennent très rapidement, à l’image du vétérinaire, de François Damiens… Tout le monde représente des bouts de la société et, avec beaucoup d’amour, le film nous raconte qu’on est tous « collés » ensemble. C’est d’ailleurs quelque chose que l’on retrouve dans tous les films de Kervern et Délépine. Je pense notamment à Feel Good, avec cette idée complètement bête de changer de tête pour s’en sortir qui, en même temps, représente bien le monde d’aujourd’hui.
Vous évoquiez Saint-Amour des mêmes réalisateurs, un road movie sortie en 2016. Dans En même temps, vos deux personnages ont beau ne pas pouvoir aller très vite, ils sont constamment dans le mouvement… Leurs modes de déplacement changent, ils voyagent, avancent et questionnent leur vie, le fait d’être perdus, de charrier une tristesse…
Jonathan Cohen : C’est un peu After Hours de Scorsese, où il y a une unité de temps très simple, où le héros doit s’en sortir en 24 heures. C’est un exercice de cinéma très particulier.
Vincent Macaigne : Il y a cette idée de s’en sortir, oui, mais Molitor et Bequet, nos personnages, ne sont pas pour autant dans une sorte de nuit folle. Ce qui est assez étrange et très beau, c’est qu’ils se disent quand même « Bon, on va aller voir ma femme, ma mère… ». Ils honorent des choses qui leur tiennent à coeur, la dérive n’est pas totale…
Jonathan Cohen : Il y a une avancée, ils retrouvent une humanité qu’ils avaient, je pense, l’un et l’autre totalement perdue. On voit comment on peut devenir une espèce de monstre politique, devenir son métier, perdre totalement l’humain en nous et finir par représenter quelque chose plutôt que d’être. Molitor et Bequet ne peuvent pas parler autrement que comme des politiciens jusqu’au moment où ils trouvent la bascule et où ils parviennent à échanger normalement.
Vincent Macaigne : Je pense que ça concerne plus ton personnage… Le mien se bat pour des idées sur l’écologie. Il a une manière de se battre un peu idiote, certes, mais il est porté par ça de A à Z.
Jonathan Cohen : Bequet, mon personnage, est un arriviste. C’est le pouvoir qui l’intéresse, on le comprend bien quand il parle, car il est un peu passé par tous les partis. Il a compris qu’on se trouvait dans une époque où, effectivement, quand on veut faire peur aux gens, quand on veut jouer sur cette corde-là, ça frétille. De fait, il se dit que c’est un bon créneau, mais je pense qu’il n’a pas d’idées, pas de convictions, et qu’il en trouve grâce à Molitor. Au cours du film, il y a un réveil, un appel de l’être humain qui sommeille à l’intérieur de lui et qui lui dit « Mais en fait, t’as raison, c’est ça qu’il faut sauver ».
Qu’avez-vous amené à vos personnages, que ce soit dans leurs gestes, leurs accoutrements ou leurs idées ?
Vincent Macaigne : La pipe électronique et le bouc ! Autrement, tout était hyper écrit. Dans le jeu, je me suis beaucoup inspiré de Valéry Giscard d’Estaing. J’ai lu énormément de choses sur lui, sur son trajet…
Jonathan Cohen : En fait, t’as vraiment cru que c’était un biopic sur Valéry Giscard d’Estaing (rires).
Vincent Macaigne : En lisant le scenario, j’avais imaginé qu’il s’agissait d’une sorte de biopic sur l’arrivée de Jacques Chirac dans l’univers de Giscard.
Jonathan Cohen : Tu m’as persuadé de cette idée et j’ai commencé à travailler dans ce sens-là, à adopter la manière de parler de Chirac. Heureusement, les réalisateurs nous ont très vite calmés.
Vincent Macaigne : Je reste persuadé qu’il y a quand même un fond, si c’est pas de Giscard, au moins de Mitterand.
Il y a un travail de synchronisation qui s’effectue au fil du temps entre vous – dans le mouvement comme dans la pensée. Est-ce que vous pensez possible l’utopie abordée par le film, c’est-à-dire que gauche et droite avancent un jour main dans la main ?
Vincent Macaigne : Je trouve que le film, ce n’est pas ça. C’est la réunion vers une chose qui est plus grave que la petite vie personnelle de nos deux personnages. Même les militantes féministes se posent des questions sur la façon de faire au plus précis, au mieux, et l’intelligence du film est là. Au-delà de l’aspect politique, il y a l’idée du besoin de se réunir. C’est l’amour immense de Kervern et Délépine pour l’être humain qui insuffle cette tendresse au film… Les personnages se débattent avec des idées et au fond d’eux, ils ont un petit diamant. Même Bequet, soit un politicien qui essaie de vendre un truc invendable, possède au fond de lui quelque chose de super beau.
Jonathan Cohen : Mon personnage se ment à lui-même depuis très longtemps. Il est englué dans ce mensonge et a, de fait, adopté un costume, comme on en adopte tous un dans la vie alors que ce n’est pas vraiment nous. À un moment la carapace s’effrite totalement et jaillit un autre mec. C’est sublime parce que c’est quelque chose qui nous concerne tous. Kervern et Délépine vont toujours vers l’humain, vers l’espoir qui est en chacun de nous, celui de changer en mieux, d’ouvrir les yeux. Tous les personnages du film ont des croyances, des convictions très fortes, et pensent que c’est ça qui les anime. Puis ils ouvrent les yeux sur ce qu’ils sont vraiment… et, dans ce processus, les réalisateurs ne se posent jamais en juges.
Vincent Macaigne : Oui, ils se rendent compte de la vérité de la vie que l’on vit, que l’on doit composer ensemble. Cette chose-là n’est pas facile, et ils le savent. Ils sont amoureux des défauts des gens, ils sont émus par la beauté. Ce qui est hilarant, c’est que le film reflète un certain état du monde : il y a beaucoup de personnages complètement idiots, comme celui que campe François Damiens, mais qui se trouvent à un endroit de mélancolie, qui ont une forme de philosophie sur le monde. Kervern et Délépine rendent ça aux êtres humains.
Jonathan Cohen : En fait, les personnages sont en même temps plein de choses. Je viens de comprendre le titre !
Le féminisme joue une place importante dans le salut de vos personnages, il contribue à les emmener vers une existence plus joyeuse. À vos yeux, le féminisme est-il aussi la clef de notre avenir politique ?
Vincent Macaigne : L’égalité est la clef.
Jonathan Cohen : Ça passe par le respect de tout le monde : les femmes, les homosexuels, les transgenres… C’est le respect de toutes les communautés, de l’être humain, qui es en jeu. Je pense qu’il n’y a jamais eu autant une demande de respect de tout le monde en même temps, justement. C’est ce que la société doit aux personnes qui la composent.
Visuels de couverture : En même temps : Vincent Macaigne, Jonathan Cohen | Copyright & Laura Pertuy & illustration / Copyright : Chloe Carbonel
En salles le
06 avril 2022
06 avril 2022