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L'Origine du mal
Entretien avec Sébastien Marnier
Le réalisateur nous avait bluffés avec L’Heure de la sortie (2019) ; il réitère l’exploit avec ce film intrigant, qui s’affiche comme une expérience-limite au parfum chabrolien et au casting de feu, dynamitant au passage les fondements de la famille. On l’a rencontré afin qu’il nous livre quelques-uns de ses secrets de cinéma.
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Le réalisateur nous avait bluffés avec L’Heure de la sortie (2019) ; il réitère l’exploit avec ce film intrigant, qui s’affiche comme une expérience-limite au parfum chabrolien et au casting de feu, dynamitant au passage les fondements de la famille. On l’a rencontré afin qu’il nous livre quelques-uns de ses secrets de cinéma.
L'Origine du mal - Entretien avec Sébastien Marnier
Dans une luxueuse villa en bord de mer, Stéphane (Laure Calamy), une jeune femme modeste, retrouve le père (Jacques Weber) qu’elle n’a jamais connu, ainsi que son étrange famille composée d’une mère fantasque, leur fille, une femme d’affaires ambitieuse, une ado rebelle ainsi qu’une inquiétante servante. Entre suspicions et mensonges, le mystère s’installe et le mal se répand…
COMMENT UN TEL SCÉNARIO S’EST-IL MIS EN PLACE ?
Sébastien Marnier : Un scénario, c’est toujours une succession de flashes, de révélations, d’envies du moment aussi. J’avais envie d’écrire sur la famille depuis longtemps, c’est une question qui me taraude mais avec laquelle je n’étais pas suffisamment à l’aise. Jusqu’à ce que ma propre mère retrouve son père à l’âge de 65 ans. Elle qui venait d’un milieu modeste, radicalement engagée à gauche, elle qui nous a toujours interdits à moi et à mon frère de fréquenter des gens de droite, elle se prenait soudain de passion pour ce père… qui était précisément un richissime banquier de droite ! (Rires.) Cela a donc remis toute mon éducation en question. La figure du transfuge de classe a émergé, or j’ai l’impression qu’elle traverse plus ou moins tous mes films car elle me concerne directement. Pendant l’écriture de L’Origine du mal, j’ai eu comme l’impression que j’y racontais aussi mon entrée dans le milieu du cinéma. C’est d’ailleurs un film sur le cinéma qui m’a nourri, m’a sauvé à plein d’endroits.
L’HISTOIRE DE VOTRE MÈRE PORTE UNE CONTRADICTION, À L’IMAGE DE VOS PERSONNAGES…
Disons que tous mes personnages sont des antagonistes, entre eux et pour eux. Comme tous les cinéastes, j’aime profondément regarder, analyser, vampiriser la nature humaine. Si elle est fascinante, c’est bien parce qu’elle n’est pas claire ; on est tous à la fois candides, angéliques et monstrueux à la fois.
VOTRE DÉSIR DE CINÉMA EST-IL D’ABORD LIÉ AU FAIT DE « CRÉER » DES PERSONNAGES ?
Il y a cette idée de la fabrication, peut-être encore plus forte que sur mes films précédents. C’est vrai que dès mon premier film, qui était pourtant bien plus social, je n’ai jamais souhaité filmé de manière naturaliste. J’ai toujours aimé le cinéma avec des effets, du Scope, de la musique, etc. C’est ce qui m’a donné envie d’en faire depuis que je suis gamin ! Pour ce film-ci, il fallait certainement élaborer un monde baroque et surréaliste mais tout en posant des questions aux prises avec l’actualité.
L’ORIGINE DU MAL EST UN FILM EXTRAVAGANT À TOUS POINTS DE VUE. COMMENT GÈRE-T-ON UNE TELLE PROFUSION DE PERSONNAGES, DE DÉCORS, DE COSTUMES ?
L’idée, c’est de faire en sorte que l’argent soit dépensé au bon endroit. Ce n’est pas qu’on doit le « voir à l’écran », non, mais il faut qu’on le mette au service d’un fantasme de cinéma. J’avais par exemple envie d’un décor extraordinaire, de mouvements de caméra complexes avec une grosse machinerie, etc. Certes, ce n’était pas simple de meubler la maison d’une collectionneuse sur 4000 m2 ! Mais on a réussi à force de détermination ; j’étais dans un bureau avec les chefs opérateur, décorateur, costumière, électricien et machiniste, et nous devions nous brancher aux mêmes objectifs. Je voulais que cette maison ressemble à un tombeau, un mausolée, comme si cette famille allait mourir asphyxiée par ses propres objets. Je tenais à ce qu’on y dispose des animaux empaillés, or les obtenir de manière classique coûtait beaucoup trop cher. Comme nous étions en plein confinement, j’ai eu l’idée d’appeler le Musée d’histoire naturelle de Toulon et le tour était joué ! Ils nous ont prêté leurs animaux dès le lendemain. Voilà une combine archétypale d’un cinéma peu coûteux, mais où l’on se débrouille. J’ai pris l’habitude de travailler dans le bureau de ma productrice, aussi car j’aime savoir comment les films sont financés. C’est sans doute un reste de mon rapport prolétaire aux choses, mais je trouve cela passionnant.
VOTRE CINÉPHILIE TRANSPIRE PARTICULIÈREMENT DE CE FILM-CI…
Le cinéma est ce qui me passionne le plus : j’y vais 3 ou 4 fois par semaine, je le digère, je l’analyse, et au-delà je le rêve et je le fabrique. Comme je transpire du film chaque jour de mon existence, mes influences ne sont pas si conscientisées dans L’Origine du mal ; excepté la scène d’ouverture dans les vestiaires embrumés, où je cite directement Carrie au bal du diable de Brian De Palma (1976). Ce que je peux dire, c’est que j’essaye de reproduire des sensations, des déformations à l’image qui me rappellent quelque chose de mon émerveillement cinéphile adolescent. J’essaye de recréer cet état d’ébriété que je pouvais ressentir en salle, et cela passe beaucoup par la mise en scène.
J’y pense maintenant, mais j’avais très envie que le film dégage une certaine charge sexuelle. J’ai même dit à mes actrices : « Vous faites partie de la même famille, mais imaginez que tout le monde pourrait coucher avec tout le monde ! » (Rires.) C’est issu de mon goût infantile pour les thrillers féminins des années 1990, entre Liaison fatale (1987), JF partagerait appartement (1992) ou encore Basic Instinct (1992)… Ces films véhiculent certes des choses que je ne validerais plus aujourd’hui, notamment sur la famille, mais à l’époque ils avaient le mérite de mettre en scène de puissants rôles féminins. On le retrouve chez Claude Chabrol, dont les héroïnes s’accomplissaient souvent sans les hommes. Je m’identifiais complètement à ces nanas, puis à tous les outsiders qu’on voyait dans les films d’horreur.
QU’EST-CE QUI VOUS A POUSSÉ À EMPLOYER UNE FORME AUSSI LUDIQUE ?
Il faut ! On ne peut pas dire que mes deux premiers étaient joyeux, celui-ci est tout aussi sombre mais il y a cette espèce de fantaisie baroque. Je connais beaucoup de cinéastes qui ne sont pas cinéphiles, ce qui m’étonnera toujours, mais il y a une question qu’on doit tous se poser : quand bien même les films sont nos petites thérapies personnelles, il faut proposer de vrais films de cinéma. C’est sans doute ce qui m’a encore davantage libéré sur ce film. Je me suis posé la question : « Quelle est la valeur ajoutée d’un film en salle aujourd’hui ? » C’est par exemple une musique originale, et j’ai renoué avec ce plaisir désuet d’en composer une pour le générique de fin. Il faut que l’expérience vaille le coup. J’avais envie d’aller contre tout ce qui m’énerve moi-même au cinéma, c’est-à-dire des récits trop limpides et des personnages trop uniformes. L’Origine du mal, c’est au contraire un récit cubiste avec des personnages cubistes.
ON A L’IMPRESSION QUE BEAUCOUP DE CINÉASTES FRANÇAIS S’AUTOCENSURENT DANS LEURS EFFETS ; VOUS, NON !
Lorsqu’on arrive avec l’envie de faire du cinéma en France, on se demande forcément quelle pourrait être « sa » famille. Pour moi, ce n’était pas si simple ! Avec le temps, j’ai réalisé qu’à l’instar de la chanson de Barbara, je « fais le zinzin » : je suis dans un délire artisanal, une certaine liberté de ton… C’est lié à mon rapport à la vie, qui est précisément celui d’un jouisseur. Chabrol était comme ça, un bon vivant qui passait son temps à manger autour d’une table. Si je citais ces thrillers érotiques des années 90 tout à l’heure, c’est aussi car ils ont participé de mes premiers émois d’adolescent et car le cinéma n’est plus très sexy aujourd’hui. J’en parlais avec Laure [Calamy] : désormais, soit tu fais un cinéma très prude où rien ne dépasse, soit tu verses dans une forme de pornographie. Il n’y a plus d’entre-deux, alors que c’était possible à l’époque. Ce qui me ravit aussi, c’est l’étonnement que ressentent les spectateurs devant le film : en fait, ils sont comme surpris d’être surpris. Je sais que certains n’aiment pas être manipulés par un récit, une mise en scène qui va les prendre en otage. Je n’ai pas du tout ce rapport au cinéma : moi, j’ai terriblement envie qu’on me manipule !
Visuel de couverture & illustration : Céleste Brunnquell, Laure Calamy, Dominique Blanc, Doria Tillier, Véronique Ruggia Saura, Jacques Weber – L’Origine du mal | Copyright Laurent Champoussin / Sébastien Marnier during the 75th Venice Film Festival
En salles le
05 octobre 2022
05 octobre 2022