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Maria rêve
Entretien inédit avec Karin Viard
En France, on n’hésite plus à la comparer à Meryl Streep. Il faut dire que Karin Viard séduit les spectateurs de tous bords depuis plus de 20 ans, le tout avec une exigence, une fantaisie et une diversité constantes ; de quoi nourrir notre curiosité pour l’actrice, qui brille cette semaine en femme de ménage un brin poétesse.
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En France, on n’hésite plus à la comparer à Meryl Streep. Il faut dire que Karin Viard séduit les spectateurs de tous bords depuis plus de 20 ans, le tout avec une exigence, une fantaisie et une diversité constantes ; de quoi nourrir notre curiosité pour l’actrice, qui brille cette semaine en femme de ménage un brin poétesse.
Maria rêve - Entretien inédit avec Karin Viard
Maria (Karin Viard) est une femme de ménage réservée, timide et maladroite, qui ne quitte jamais son carnet à fleurs dans lequel elle écrit des poèmes en secret. Lorsqu’elle est affectée à l’École des Beaux-Arts, elle rencontre Hubert (Grégory Gadebois), le gardien fantasque de l’école, et découvre un lieu fascinant où règnent la créativité et l’audace. Dans ce monde si nouveau, Maria va-t-elle enfin pouvoir s’épanouir ?
VOUS ÊTES ARRIVÉE TARDIVEMENT SUR LE PROJET. COMMENT CELA S’EST-IL DÉROULÉ ?
Karin Viard : Une autre actrice devait jouer le rôle, or on m’a appelée 2 semaines avant le tournage pour la remplacer au pied levé. J’ai débarqué comme un boulet de canon ! (Rires.) C’est une position à double tranchant : d’un côté, il y a cette jouissance d’arriver comme la sauveuse, où l’on pourrait presque demander un cheval blanc et un ours empaillé dans la seconde, et de l’autre il y a la frustration induite par le manque de préparation. J’ai mis un temps avant de trouver mes marques et d’embarquer avec l’équipe dans la locomotive.
VOUS PARLIEZ DE PRÉPARATION. QUELLE FORME PREND-T-ELLE CHEZ VOUS ?
Tout dépend du rôle ! Lorsque j’incarne la nounou dans Chanson douce (2019) et que je dois assassiner les enfants de mes patrons à la fin, la préparation est guidée par une question : « Comment cette femme peut-elle en arriver à un tel degré d’humiliation, de douleur, de solitude, au point d’accomplir cet acte extrême ? » Préparer ce rôle, c’est comprendre la « logique » d’une femme apparemment folle ; cela passe par une décortication méticuleuse des scènes et du sens qu’elles cachent.
Pour Maria rêve, le travail consistait à endosser une tout autre énergie que la mienne ; j’interprète une femme introvertie, à l’aise dans l’invisible, qui préfère écouter les autres. C’est tout l’inverse de ce que je suis ! Il fallait donc que je trouve en moi un espace de timidité et d’empêchement, or ce n’est pas si évident. J’avais parfois le sentiment de « fabriquer » un peu trop sur le plateau, puisque j’avais manqué de préparation ; on ne le voit pas vraiment à l’écran, c’est ma cuisine personnelle, mais je le sentais parfois.
Et puis il y a des rôles où l’on se prépare à s’aimer ! Ça peut sembler anecdotique, mais il a fallu que je me prépare à tourner une semaine entièrement nue pour L’Origine du monde (2021). Si tu commences à te dire que tu es moche, grosse et vieille, ce n’est pas possible ; pour paraître la plus naturelle possible à l’écran, il fallait que j’effectue un travail sur mon propre corps et sur l’image que j’en ai.
QU’EST-CE QUI VOUS AIDE LE MIEUX À VOUS APPROPRIER UN PERSONNAGE ?
Je pense au choix des costumes. Lorsqu’un costumier arrive et me présente des vêtements, c’est un précieux renseignement sur l’identité de mon personnage. Comme dans la vie ! Il ne s’agit pas seulement de porter de beaux habits ou non, d’être à la mode ou non ; soit tu t’habilles tout en noir, soit tu as l’audace de porter des couleurs vives. On peut aller jusqu’aux costumes les plus extravagants, sans pour autant tomber dans le déguisement. Lorsque je dis au costumier que « c’est très bien, mais je me sens déguisée », c’est que je fais un blocage presque intuitif sur un vêtement. Ce n’est parfois qu’une question de couleur, c’est très étrange…
MARIA ÉVOQUE VOTRE RÔLE DANS LULU FEMME NUE (2013) : CES TRAJECTOIRES DE FEMMES VOUS TOUCHENT PERSONNELLEMENT ?
Elles sont effectivement de la même famille, mais je pense que Maria a quelque chose de beaucoup plus naïf ; son regard est dénué de cynisme, de violence, d’agressivité. Elle est très pure, en opposition à Lulu qui est une femme plus mature car plus consciente. Mais elles s’émancipent toutes les deux ; elles se libèrent d’un mari, d’un regard qu’on a toujours posé sur elles, d’un diktat qu’on leur a imposé et qu’elles se sont imposé à elles-mêmes, mais aussi d’une certaine forme de gentillesse. C’est tout le problème avec la gentillesse, qualité que j’apprécie par ailleurs énormément ; beaucoup de gens en abusent. En ce sens, on peut dire que Maria et Lulu sont des femmes très abusées. Ensuite, est-ce que j’aime particulièrement ces rôles-là ? Oui et non. Je sais qu’on m’aime dans ce registre, mais en vérité j’adore jouer les méchantes ! (Rires.)
QU’EST-CE QUI VOUS FAIT DIRE OUI À UN RÔLE ?
Certainement pas les perspectives de carrière, comme c’est le cas pour certains acteurs. Je n’ai aucun regard là-dessus et ça ne m’intéresse pas ; ce qui m’importe, c’est uniquement de m’épanouir grâce à mes rôles. Mais je n’irai jamais jouer dans un film qui ne m’intéresse pas sous prétexte qu’il m’apportera le succès et que je serai très bien payée ! Le désir d’un rôle peut aussi jaillir de mon propre vécu ; lorsque mes enfants étaient en pleine crise d’adolescence, j’étais forcément attirée par cette problématique. Aujourd’hui, cela m’intéresse moins.
ON RETROUVE ICI LE NU QUE VOUS ÉVOQUIEZ À PROPOS DE L’ORIGINE DU MONDE ; LÀ, MARIA PASSE DE FEMME DE MÉNAGE À MUSE ÉROTISÉE DANS UN MÊME FILM !
Oui, il est aussi question de poser nue. Cela illustre brillamment le propos du film, qui consiste à déplacer ce regard extérieur qu’on plaque sur les autres ; ce corps fagoté dans ses vêtements de femme de ménage, qu’on arrive à peine à imaginer nu, il s’avère merveilleux lorsqu’on le débarrasse de ses oripeaux. C’est ce qui arrive pour Maria : personne ne se doute qu’elle renferme un trésor, et pourtant… C’est assez troublant. Je parle de « son » corps comme si ce n’était pas le mien, c’est drôle ! (Rires.) Mais c’est vraiment de cette façon que je le vis.
CE QUI EST FORT, C’EST AUSSI LA CURIOSITÉ AVEC LAQUELLE MARIA OBSERVE LES ŒUVRES D’ART. ELLE N’EST PAS DANS LE JUGEMENT…
Je dois dire que c’est très agréable de rencontrer quelqu’un qui n’est ni dans le jugement, ni dans les idées préconçues. Et nous vivons pourtant dans une société qui passe son temps à le faire, moi y compris. Mais ce rôle m’a fait réfléchir ! Je me suis dit : « Au fond, tu as tellement plus de force lorsque tu ne juges pas. » J’y travaille depuis, car sinon je considère que c’est une voie sans issue : c’est ton jugement contre celui de l’autre, et quoi de plus ?
LE DÉCLIC DE MARIA S’OPÈRE GRÂCE AU CONTEXTE DANS LEQUEL ELLE EST PLONGÉE PAR HASARD. ET VOUS, QU’EST-CE QUI A ÉVEILLÉ VOTRE DÉSIR D’ÊTRE ACTRICE ?
Je fais partie de ces gosses qui ont une passion dans l’enfance et contre quoi personne ne peut rien ! Hier, je discutais avec mon voisin ; il m’a dit que son fils lui avait demandé une machine à coudre professionnelle à l’âge de 6 ans. Aujourd’hui il en a 17 et il veut être styliste. Je lui ai dit : « Tu dois te soumettre à la passion de ton fils. » En tant que parent, tu dois le suivre et ne jamais l’empêcher dans son désir. J’ai vécu la même chose enfant. Rétrospectivement, je me dis que j’ai eu ce besoin car mes émotions mettaient ma famille très mal à l’aise ; il fallait que ça roule, que je ne m’embête personne et que je sois un bon petit cheval à la maison. Or j’étais hypersensible – et je le suis toujours –, donc le fait de jouer me permettait de déverser ce flot émotionnel que je devais contenir le reste du temps. Je crois que c’est ce qui m’a poussé à m’inscrire à mes premiers cours de théâtre.
Visuels de couverture & illustration : Karin Viard – Maria rêve | Copyright ADNP.TF1 STUDIO.FRANCE 3 CINEMA / Karin Viard – L’Origine Du Monde | Copyright Laurent Champoussin
En salles le
28 septembre 2022
28 septembre 2022