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Ogre
Entretien avec le réalisateur Arnaud Malherbe
Premier long métrage pour le cinéma du réalisateur Arnaud Malherbe, qui a notamment créé la série Moloch pour Arte, Ogre revisite avec brio les terreurs infantiles et élabore un singulier film d’épouvante « à hauteur d’enfant », également porté par Ana Girardot. On l’a rencontré pour qu’il ouvre les portes de son imaginaire.
Premier long métrage pour le cinéma du réalisateur Arnaud Malherbe, qui a notamment créé la série Moloch pour Arte, Ogre revisite avec brio les terreurs infantiles et élabore un singulier film d’épouvante « à hauteur d’enfant », également porté par Ana Girardot. On l’a rencontré pour qu’il ouvre les portes de son imaginaire.
Ogre - Entretien avec le réalisateur Arnaud Malherbe
Chloé (Ana Girardot), une institutrice, débute une nouvelle vie avec son fils Jules (Giovanni Pucci) dans un petit village du Morvan. Là-bas, elle tombe sous le charme de Mathieu (Samuel Jouy), un médecin charismatique et mystérieux. La disparition d’un enfant et l’apparition d’une bête féroce vient cependant mettre à mal la vie tranquille du village…
OGRE EST VOTRE PREMIER LONG MÉTRAGE POUR LE CINÉMA MAIS VOUS AVEZ UNE LONGUE CARRIÈRE DERRIÈRE VOUS. QUELLE PLACE CE FILM OCCUPE-T-IL DANS VOTRE FILMOGRAPHIE ?
Arnaud Malherbe : Une place importance car je le développe depuis très longtemps, bien que j’ai parfois du laisser le projet en suspens lorsque j’ai réalisé des séries. Notamment Moloch [avec Marine Vacht et Olivier Gourmet] pour Arte, qui puise également dans le fantastique. C’est la voie d’expression dont je suis le plus proche. Ogre, lui, est tiré de ma propre enfance puisque j’ai habité à la campagne et que j’avais cette peur de l’obscurité. Pour combler l’ennui, je cultivais mon imaginaire…
VOUS AVEZ ÉCRIT ET RÉALISÉ LA SÉRIE MOLOCH POUR ARTE, QUI A PLUSIEURS POINTS COMMUNS AVEC OGRE : UN LIEU ISOLÉ, DES ÉVÉNEMENTS INEXPLIQUÉS, DES PERSONNAGES AU PASSÉ TROUBLE… C’EST UNE FORME DE CONTINUITÉ ?
Disons que dans Moloch, je pose la question : « Que faire face au surgissement d’une violence incompréhensible et irrationnelle ? » J’observe comment cela réveille les traumatismes intimes des personnages, voire ceux de la société dans son ensemble. Dans Ogre, je me demande comment un enfant lutte contre ses propres peurs via l’imaginaire ; or peut-être que son imaginaire est si fertile qu’il prend le pas sur le réel. Ce n’est pas pour rien qu’il lit un manga dans lequel on retrouve certaines images du film : le rêve, la fiction s’immiscent jusque dans son réel à lui. Et donc dans le film qu’on est en train de regarder.
DEUX SCÈNES ILLUSTRENT LA PEUR, PRESQUE PRIMALE, DU PERSONNAGE D’ANA GIRARDOT LORSQU’ELLE EST SEULE FACE A LA NUIT. DISENT-ELLES AUSSI QUE CETTE PEUR-LÀ NE NOUS QUITTE JAMAIS ?
Cela m’est réellement arrivé il y a quelques années ! Je me suis retrouvé chez mes parents à la campagne. J’étais dans le jardin en train de fumer une cigarette, je réfléchissais justement à Ogre et, soudain, j’ai eu peur. J’ai ressenti comme un frisson me parcourir, très proche de ceux que j’ai pu ressentir enfant. J’ai voulu « rejouer » cette scène avec Ana Girardot car, à mon avis, cela provient de notre condition animale : si nous sommes surtout des prédateurs, il y a des milliers d’années nous étions aussi des proies. C’est vrai car, sinon, pourquoi avoir peur lorsque les lumières sont éteintes ? Il n’y a pas plus de danger mais, s’il y en a un, nos sens ne nous permettent plus de l’identifier.
L’ENFANCE EST PROPICE AU CINÉMA D’HORREUR, MAIS COMMENT FAIT-ON TRAVAILLER UN ENFANT SUR CE GENRE DE FILM ?
Avec Giovanni, le jeune acteur, c’était une aventure dans l’aventure ! (Rires.) Même s’il comprenait le principe de « faire semblant » devant la caméra, il me demandait tous les trois jours si l’ogre existait vraiment. Il y avait cette espèce de mise en abyme avec le film, puisqu’il avait les mêmes réflexions que le petit dans l’histoire. Afin de réduire sa peur face au monstre, qui a quand même terrifié jusque des membres adultes de mon équipe, on a pris du temps pour lui présenter le comédien en question. Il a assisté aux sessions de maquillage, etc., mais on n’a pas pu empêcher totalement sa peur lors des scènes les plus effrayantes. (Rires.)
VOTRE MONSTRE DÉCHARNÉ EST TRÈS INTRIGANT. COMMENT L’AVEZ-VOUS PENSÉ ET FABRIQUÉ ?
L’ogre était très flou à l’écriture. Littéralement : c’était une présence, une forme noire indéterminée. Mais lorsqu’on fabrique un objet plastique, le flou n’existe pas… Tout est venu pendant la préparation du film, à quelques mois du tournage. On s’est posé la question des VFX (effets spéciaux par ordinateur, ndlr) mais notre budget ne nous le permettait pas. Il faut savoir qu’on a réalisé Ogre avec les moyens d’un petit film d’auteur français, donc on a dû trouver mille solutions alternatives en termes d’effets spéciaux. On a travaillé avec Olivier Afonso, un maquilleur très connu sur ce terrain qui nous a proposé des choses, puis on a casté un comédien et cela s’est construit au fur et à mesure. Le film est un mélange inouï d’effets spéciaux virtuels et artisanaux.
Samuel Jouy & Ana Girardot – Ogre | Copyright The Jokers / Les Bookmakers
VOUS NE QUITTEZ JAMAIS LE POINT DE VUE DE L’ENFANT. LUI-MÊME A UNE PARTICULARITÉ : IL PORTE UN APPAREIL AUDITIF À L’OREILLE DROITE. POURQUOI AVOIR INTÉGRÉ CET ÉLÉMENT ?
C’est arrivé assez tard mais j’en suis très content. À partir du moment où vous racontez l’histoire d’un enfant « dans sa bulle », il n’y a rien de mieux que d’y faire entrer le spectateur par le son. Là, on est même avec lui d’un point de vue auditif : s’il « éteint » le film en éteignant l’appareil, cela s’éteint aussi pour nous. On a beaucoup travaillé à la déformation du son lorsque l’appareil est en pause ; l’idée, c’était de consacrer 50% de notre investissement dans la dimension sonore du film. En tant que réalisateur, je considère que l’image est encore plus forte s’il y a un vrai travail sur le son. Les émotions sont également auditives ! On a fait un gros travail de recherche « à l’ancienne » : pour l’ogre je cherchais des sonorités organiques et gutturales, donc on s’est beaucoup râclé la gorge sur des micros. (Rires.) Le monteur son a cassé des noisettes, etc. On a fait comme un designer de studio américain, sauf qu’on était dans une petite salle avec trois bouts de ficelle. Mais ça a payé !
VOUS AVEZ SOULIGNÉ VOTRE AMBITION DE RÉALISER UN FILM FANTASTIQUE AUTHENTIQUEMENT FRANÇAIS. L’AMÉRICANISATION DU CINÉMA DE GENRE A TENDANCE À VOUS AGACER ?
Je ne sais pas si cela m’agace, mais disons que c’est dommage. En tant que spectateur, ça ne m’intéresse pas de voir un film français à l’américaine ; je préfère me retrouver face à une singularité d’auteur, à quelque chose qui provient d’une réalité typiquement française. C’est pour cette raison que j’ai adoré La Nuée de Just Philippot et Teddy des frères Boukherma : je n’avais encore jamais vu ça ! C’est pour cette raison que j’ai géographiquement inscrit Ogre dans un village rural comme ceux que je connais bien, sans parler du fait que l’ogre provient des contes français et italiens. Même si j’ai revisité sa physionomie, ce n’est pas une figure anglo-saxonne. Faire du fantastique français était donc très important pour moi, notamment car il faut que chacun puisse parler depuis sa singularité.
Ana Girardot – Ogre | Copyright The Jokers / Les Bookmakers
Visuel de couverture : Giovanni Pucci – Ogre | Copyright The Jokers / Les Bookmakers
En salles le
20 avril 2022
20 avril 2022