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Interview avec Marion Desseigne-Ravel
Pour son premier film, Marion Desseigne-Ravel aborde frontalement l’homosexualité féminine dans les quartiers populaires. D’une rare justesse, Les Meilleures fait aussi preuve d’une belle inventivité et d’un romantisme pop qui n’esquive pourtant jamais la brutalité des rapports sociaux. Nous l’avons rencontrée pour l’occasion.
Pour son premier film, Marion Desseigne-Ravel aborde frontalement l’homosexualité féminine dans les quartiers populaires. D’une rare justesse, Les Meilleures fait aussi preuve d’une belle inventivité et d’un romantisme pop qui n’esquive pourtant jamais la brutalité des rapports sociaux. Nous l’avons rencontrée pour l’occasion.
Les Meilleures - Interview avec Marion Desseigne-Ravel
Nedjma (Lina El Arabi) est une forte tête et, dans son quartier HLM de la capitale, elle passe l’été à zoner avec ses copines. Lorsqu’elle fait la rencontre de sa nouvelle voisine, la pétillante Zina (Esther Rollande), elle ressent comme une attirance inexplicable pour la jeune femme. Seulement voilà : la pression du groupe et les tabous autour de la sexualité sont légion dans l’univers de Nedjma…
Votre court métrage Fatiya (2018) traitait déjà, en filigrane, de la jeunesse des quartiers populaires. D’où votre désir de raconter des histoires dans ce milieu est-il né ?
Marion Desseigne-Ravel : En arrivant à Paris pour mes études, j’ai emménagé dans le quartier très populaire de la Goutte-d’Or. Il y avait une association de soutien scolaire en face de mon appartement et j’y suis entrée un jour par curiosité. J’y suis finalement restée sept ans en tant que bénévole ! Tous les jeunes étaient issus du Maghreb ou d’Afrique de l’Ouest, et j’ai appris à les connaître de façon intime. Je me souviens que pendant la Manif pour tous, ils m’ont pris à parti avec un autre adulte et, le temps d’une séance, nous avons parlé d’homosexualité avec eux. Certains exprimaient une forte réaction de rejet, mais nous avons fini par construire un vrai dialogue. Bien qu’ils m’aient affirmée que l’homosexualité « n’existait pas » chez eux, j’ai vu que certains étaient travaillés par la question. Ils ne pouvaient simplement pas en parler tout de suite. L’idée du film est née de cet événement.
La façon dont vous filmez les « bandes de filles » désamorce certains archétypes sur la préciosité du féminin. Comment avez-vous pensé cette dimension ?
J’ai l’impression que les débats contemporains autour du féminisme ont tendance à édulcorer la chose. Or je crois que l’émancipation des femmes consiste aussi à leur autoriser une forme de brutalité, qui ne doit pas rester l’apanage des hommes. C’est très idéaliste de considérer que les filles sont toutes précieuses et délicates. Dans mon film, j’ai au contraire souhaité mettre en avant la corporalité des actrices, qui passe entre autres par des scènes de bagarre.
Votre héroïne, Nedjma, échappe précisément aux étiquettes. Elle est à la fois robuste et sensible…
Nedjma est un personnage à plusieurs couches ; d’un côté elle a très bien intégré le jeu social du quartier, qui consiste pour les filles à tenir leur réputation au sein de leur bande, et de l’autre elle cache une sensibilité qui s’exprime hors de l’espace public. J’avais envie d’une héroïne à deux vitesses, ce que la mise en scène prend aussi en charge. Mariama Gueye, qui incarne Sofia, a déclaré en sortant de la projection : « On est sur le pouls de Nedjma ». C’était vraiment mon intention !
Vous n’hésitez d’ailleurs pas à intégrer les nouveaux modes de communication à la mise en scène. C’est encore assez rare au cinéma.
À partir du constat que les réseaux sociaux sont omniprésents dans la vie des jeunes, je me suis retrouvée face à un défi car le téléphone portable n’est pas très beau ni très intéressant à filmer. Il fallait que j’en fasse un enjeu de mise en scène ; très vite, j’ai su que le résultat serait graphique et donc abstrait. Je voulais que le spectateur expérimente le texto à la manière des personnages. C’est pour cette raison qu’ils font la taille de l’écran et qu’ils sont en couleur ; ils sont sensitifs et pas seulement informatifs. Ce qui me passionne avec ce nouveau langage, c’est la simultanéité qu’il implique : on est physiquement quelque part mais on peut recevoir un message ou une vidéo provenant d’un autre espace qui va nous plonger dans un autre état émotionnel. C’est très cinématographique.
Le film procède beaucoup par symboles, notamment liés à la géographie de la cité. Comment cela s’est-il cristallisé ?
J’ai vite réalisé que mon film avait quelque chose du western. Ce banc sur lequel on a le droit ou pas de s’asseoir, c’est un vrai saloon. J’aimais aussi l’idée que les décors, assez fonctionnels et pas particulièrement esthétiques, soient réinventés par les personnages eux-mêmes. Peindre le fameux banc en rose, c’est signifier que les filles s’approprient une partie de l’espace public. Le toit, où se retrouvent en cachette Nedjma et Zina, évolue lui aussi puisqu’elles vont littéralement l’habiter…
Vous n’avez donc pas peur de vous aventurer vers le cinéma de genre, que cela passe par le western ou par le fantastique…
Lorsque mon scénario en était à l’étape de financement, beaucoup de gens ont qualifié Les Meilleures de film social. À chaque fois je répondais : « Non, c’est surtout un film romanesque ». C’est l’histoire d’amour qui est au cœur du récit et j’avais donc envie d’une forme d’emphase, voire de lyrisme, que le film social à la Dardenne permet moins.
Photo : Marion Desseigne-Ravel – Copyright DR
Visuel de couverture : Les Meilleures: Tasnim Jamlaoui, Lina El Arabi, Mahia Zrouki | Copyright Denis Manin
En salles le
09 mars 2022
09 mars 2022