Un autre monde

Le grand retour du duo Kiberlain-Lindon

C’est à une vertigineuse descente aux enfers que nous convie Stéphane Brizé. Celle de d’un cadre pris en étau entre les pressions infligées par une entreprise industrielle aux méthodes déshumanisantes et le naufrage progressif de son noyau familial, composé de sa femme et son fils (Anthony Bajon).

On retrouve au casting les audacieux Vincent Lindon (Welcome, Titane) et Sandrine Kiberlain (9 mois ferme, Pauline détective), dont les carrières respectives forcent déjà l’admiration. Mais lorsqu’ils se réunissent, le résultat fait des étincelles.

Pendant plus de dix ans, les deux acteurs ont formé un tandem à la ville. Divorcé en 2008, le duo est immortalisé un an plus tard par Stéphane Brizé , qui filme dans Mademoiselle Chambon leur coup de foudre à l’écran, à travers les rôles d’un parent d’élève et d’une institutrice qui cèdent à leurs sentiments, malgré les interdits.

Une critique acérée du monde de l’entreprise

Ces deux-là vont se réunir une seconde fois, sous l’œil du même réalisateur, dans le sensible Quelques heures de printemps (2012). Un nouveau rôle fort pour Vincent Lindon notamment, qui devient la muse de Stéphane Brizé dans les acclamés La Loi du marché (2015) puis En guerre (2018). Deux films empreints d’un puissant discours social, où l’acteur joue les colosses aux pieds d’argile, face aux rouages implacables d’une machine capitaliste devenue folle.

Deux films qui forment les maillons d’une trilogie achevée avec Un Autre monde, où Vincent Lindon n’est plus un prolétaire asphyxié mais le patron d’un groupe mondialisé qui, face aux pressions de sa hiérarchie, sacrifie bon gré mal gré sa propre famille. Il est soumis à un dilemme moral impliquant un plan de licenciements particulièrement cruel, au moment même où ses proches ont le plus besoin de lui.

Si Stéphane Brizé avait filmé l’amour naissant dans le tandem avec Mademoiselle Chambon, le voilà qui capture leur éloignement 13 ans plus tard. Pari réussi. Les deux géants se prêtent à un grand numéro d’équilibriste, où alternent violentes scènes de réunions professionnelles et déchirants face-à-face au sein de la cellule familiale.

Les deux s’entremêlent en un véritable chaos, orchestré avec brio par le cinéaste, qui démontre à quel point la déshumanisation des conditions de travail s’immisce jusque dans l’intimité des salariés.

Dans le rôle du fils en pleine implosion, Anthony Bajon (La Prière) ne démérite pas face à ce couple de cinéma, qui semble en avoir fait un fils spirituel.

Au point que Sandrine Kiberlain lui propose un rôle dans son premier film en tant que réalisatrice, le solaire Une jeune fille qui va bien…

Visuels de couverture & illustration : Un autre monde: Vincent Lindon, Sandrine Kiberlain | Copyright 2020 Nord Ouest Films France 3 Cinéma Michael Crotto R