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TROMPERIE
Léa Seydoux se livre
Troublante heroïne du nouveau film d’Arnaud Desplechin (Rois et Reine), l’actrice fait connaître à son personnage une rare constellation d’émotions. Toujours sur le fil, entre bonheur intense et mélancolie fugace, la femme qu’elle incarne résonne avec ses propres réflexions, comme avec l’attention inouïe qu’elle porte aux mots et sentiments. Entretien intime.
Troublante heroïne du nouveau film d’Arnaud Desplechin (Rois et Reine), l’actrice fait connaître à son personnage une rare constellation d’émotions. Toujours sur le fil, entre bonheur intense et mélancolie fugace, la femme qu’elle incarne résonne avec ses propres réflexions, comme avec l’attention inouïe qu’elle porte aux mots et sentiments. Entretien intime.
Vous retrouvez Arnaud Desplechin après Roubaix, une lumière. Vous êtes-vous engagée avec une grande assurance sur ce tournage ou, au contraire, une certaine fébrilité à l’idée d’être plongée dans un univers tout autre ?
Léa Seydoux : J’avais adoré tourner avec Arnaud sur Roubaix, une lumière alors quand il m’a proposé de faire ce film, j’y suis allée avec énormément d’enthousiasme. En plus, il y avait eu le premier confinement, une espèce de tristesse flottait dans l’air, tout était un peu à l’arrêt… Nous avons été très chanceux car le film s’est fait avec une facilité incroyable, à un moment de creux d’épidémie. Nous l’avons tourné en très peu de temps, avec très peu de décors. Quand je travaille avec Arnaud, j’ai le sentiment qu’il allume un feu en moi, il parvient vraiment à galvaniser son équipe.
Il s’agit pourtant d’un film « confiné » où tout se déroule en intérieur…
Comme on explore une histoire d’amour adultérine, il s’agit pour les deux personnages de se retrouver ; ils n’ont donc pas vraiment de lien avec le monde extérieur. On se concentre sur ce qui découle de la friction entre eux, à savoir leur relation. En soi, il n’y a pas d’histoire, il ne se passe rien. Je trouve que les sujets les plus forts au cinéma résident souvent dans les histoires les plus simples. Ici, il s’agit d’une affaire de sentiments, c’est tout. On découvre des moments volés de leur existence et c’est ce qui est beau. D’ailleurs, c’est dans ces instants suspendus que triomphe le rapport amoureux. Il est ce qu’il est, émaillé de sentiments, sans jugement sur le fait de tromper. L’auteur et mon personnage acceptent leur condition d’infidèle, ce qui permet une certaine équité entre eux. J’ai aimé ce couple, j’y ai cru.
Arnaud Desplechin dit qu’il a écrit le film pour vous…
C’est très flatteur. À la lecture du scenario, tout m’est apparu comme limpide.
Il y a quelque chose d’enfantin dans votre jeu, une présence totale.
Sur un plateau, on est toujours comme un enfant qui joue et ici, le plus enfant de tous, c’est Arnaud. Cette enfance-là m’apporte beaucoup de joie. Arnaud est doté d’une grande intelligence ; c’est un vrai passionné qui vit pour le cinéma. Il est très agréable d’évoluer aux côtés d’une personne aussi inspirée. Et puis, il nous emporte dans son énergie.
Votre personnage oscille entre de grandes vagues de mélancolie et une joie intense. Elle dit à un moment « J’éprouve un besoin tellement impérieux de solitude »…
Je me suis beaucoup identifiée à ce personnage. Comme tous les acteurs, je crois, je me raconte à travers mes films, il y a toujours des choses dans lesquelles je me reconnais. C’est une couleur, c’est un fragment de moi…
Votre personnage dit « Sans revenus, on n’a pas de dignité », ce qui fait penser à Virginia Woolf qui écrit dans Une Chambre à soi qu’une femme a besoin « d’avoir cinq cents livres de rente et une chambre dont la porte est pourvue d’une serrure » pour trouver une indépendance.
Il est certain que si l’on est marié à un homme dont on est dépendante en termes financiers, on se trouve un peu enfermée dans une condition. La relation qu’entretient mon personnage avec son amant est un espace de liberté qui lui permet de se révéler à elle-même. Au début du film, elle évoque le fait d’être la muse d’un écrivain reconnu, de l’inspirer. Tout d’un coup, ça lui donne une fonction, elle se sent exister par ce biais, qui est autre que celui qui la lie à son mari, qui fait d’elle une femme et mère au foyer. Il y a une phrase d’André Breton qui dit « L’amour, c’est quand on rencontre quelqu’un qui vous donne de vos nouvelles ». Je trouve ça assez beau, assez juste, et je pense que c’est exactement ce que fait mon personnage.
Elle parle beaucoup, laisse libre court à ses pensées. On sent un grand plaisir à manier les mots, à trouver les bons termes…
Je cherche toujours le mot précis quand je m’exprime. Tromperie est un film très intelligent qui a véritablement le goût des mots, le plaisir que l’on éprouve face à la richesse de la langue. Les joutes verbales auxquelles s’adonnent les personnages sont assez euphorisantes. Il faut dire que le texte de Philip Roth « donne envie d’avoir envie », comme dirait Johnny (rires).
« Je cherche toujours le mot précis quand je m’exprime. Tromperie est un film très intelligent qui a véritablement le goût des mots »
Quel partenaire de jeu a été Denis Podalydès, dont le personnage peut être sec et provocateur ?
Il a été fantastique. C’est un acteur qui offre un ancrage, quelque chose de solide, ce qui m’a permis d’être plus fragile, d’être l’élément plus tangent du duo.
Quels sont vos prochains projets ?
Je m’apprête à tourner avec Bertrand Bonello en avril. Il s’agit d’une histoire d’amour qui se déroule à trois époques différentes (La Bête, Ndlr).
Quelle spectatrice de cinéma êtes-vous ?
J’ai véritablement l’appel de la salle. Au cinéma, on est au rendez-vous, alors que chez soi on est distrait par un coup de fil, on consulte son portable ; ce n’est pas la même concentration. Le cinéma, c’est un lieu sacré.
Visuel de couverture : Copyright Shanna Besson – Why Not Productions_R
29 décembre 2021