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UNE FEMME DU MONDE
Laure Calamy et Cécile Ducrocq à nu
Premier long métrage frondeur, Une femme du monde offre à Laure Calamy l’occasion de prêter sa fougue à un personnage résolument féministe. Une plongée dans le monde de la prostitution qui vaut surtout pour son portrait réussi d’une femme qui ne plie devant aucun obstacle. Entretien croisé avec la comédienne et la réalisatrice Cécile Ducrocq.
Premier long métrage frondeur, Une femme du monde offre à Laure Calamy l’occasion de prêter sa fougue à un personnage résolument féministe. Une plongée dans le monde de la prostitution qui vaut surtout pour son portrait réussi d’une femme qui ne plie devant aucun obstacle. Entretien croisé avec la comédienne et la réalisatrice Cécile Ducrocq.
UNE FEMME DU MONDE - Laure Calamy et Cécile Ducrocq à nu - ILLIMITÉ
Cécile, vous retrouvez Laure Calamy sept ans après le court métrage La Contre-allée. Comment avez-vous cheminé depuis pour aboutir à ce premier long ?
Cécile Ducrocq : J’ai le sentiment qu’on l’a porté ensemble. Suite au court métrage, j’ai eu tout de suite envie de retravailler avec Laure, d’amener son personnage un peu plus loin, et notamment de lui donner un fils. Le long a malheureusement mis longtemps à se faire.
Laure Calamy : Malgré moult prix – dont Sundance et Clermont-Ferrand (mention spéciale d’interprétation féminine, Ndlr) – et le César (de la meilleure actrice pour Antoinette dans les Cévennes en 2021, Ndlr) !
Cécile Ducrocq : Ce film a été difficile à monter et j’ai régulièrement appelé Laure en pleurant car des financements m’avaient été refusés, plaintes qu’elle adoucissait toujours par un « Mais ce n’est pas grave, on va arriver à le faire ! ».
Laure Calamy : Je trépignais d’impatience que le projet se concrétise. Je voulais effectivement prolonger et déployer ce personnage.
Le film fait intervenir un regard féminin sur la prostitution, sans objectification des corps, dans le quotidien et la réalité crue, presque documentaire, de ce que peut être le métier. Quel a été votre travail de préparation ?
Cécile Ducrocq : Il y a eu une recherche plus approfondie, presque documentaire par endroits, pour écrire le scénario, pour ne pas raconter n’importe quoi sur ce milieu. Dans l’optique du court métrage, nous avions fait une rencontre déterminante : Marie-France, prostituée et concierge rue Saint-Denis. Elle nous avait expliqué que lorsqu’on reçoit un client, il faut lui demander l’argent directement, ne pas lui tourner le dos… Dans sa chambre, au-dessus du lit, était accrochée une photo de son fils. Je venais d’avoir des enfants et je me suis demandé comment les prostituées faisaient pour élever les leurs. Je me suis également rendue au STRASS (Syndicat du travail sexuel, Ndlr) pour assister à quelques réunions, discuter… Puis l’imaginaire a pris le relais car il ne s’agissait pas de faire un documentaire. Il y autant de manières d’être prostituée que de prostituées ; chacune le fait à sa sauce, et je l’ai présenté à ma façon, tout comme Laure…
Laure Calamy : Oui, je me suis dit « Tiens, quelle prostituée aurais-je été ? ». J’avais lu beaucoup de choses sur le sujet avant même de rencontrer Cécile. D’ailleurs, parmi mes films préférés se trouvent Mamma Roma de Pasolini et Les nuits de Cabiria de Fellini, avec leurs figures de prostituées. Je parle aussi souvent de Grisélidis, prostituée, peintre et artiste dont les écrits ont été republiés en 2004. La lire a été un vrai choc pour moi. J’attendais l’occasion de raconter cette vie-là.
Et puis ce qui est assez inédit dans le point de vue de Cécile, c’est la normalisation qu’elle opère quant à la situation de Marie, l’aspect universel qu’elle lui offre. C’est une mère qui se bat pour son fils, qui se retrouve dans des situations banales avec le banquier, la conseillère d’orientation… Autre originalité, Marie n’est pas une fille qui veut sortir de la prostitution. Elle aime son métier, milite pour obtenir plus de droits et exerce en indépendante, ce qui représente quand même 20% du milieu, il me semble. Bien sûr, c’est un métier qui a une singularité, mais au même titre que les gynécologues, les gastro-entérologues ou les thanatologues, au final. Ce sont des activités très particulières qui ne sont pas pour autant stigmatisées.
La profession de prostitué.e mobilise le corps et ce que l’on en donne, ce qui présente des points communs avec le métier d’actrice et d’acteur.
Laure Calamy : Oui, le corps est mon instrument de travail. Je le mets en jeu, denudé ou non, et le sollicite pour raconter l’humain. C’est un terrain de jeu.
Cécile Ducrocq : Toutes les prostituées indépendantes que j’ai rencontrées m’ont dit qu’elles préféraient exercer ce métier plutôt qu’un autre. Évidemment, ce ne sont pas de grandes bourgeoises qui ont eu un choix de métier très vaste, mais des personnes gens qui, à un moment, se sont retrouvées dans une impasse. Ce qui importe, c’est qu’elles fixent les règles, qu’elles soient dans le contrôle.
Laure Calamy : Marie veut gagner sa vie avec son corps, c’est sa liberté
« Une fois de plus, ça réveille des sujets sur la liberté des femmes par rapport à leur propre corps » Laure Calamy
Considérez-vous ce film comme un outil de militantisme, notamment dans le contexte punitif actuel ?
Cécile Ducrocq : Il y a forcément un message, mais plus politique que militant. Évidemment, mon avis sur la question transparaît dans le film ; je pense que cette loi de la pénalisation des clients est absurde et qu’elle ne mène à rien. Par ailleurs, les prostituées racontent toujours l’état de la société dans laquelle elles évoluent, le film aborde donc aussi les rapports hommes-femmes, la sexualité, les rapports d’argent, les travailleurs déplacés…
Cela dit, Une femme du monde est avant tout une fiction, une histoire d’amour, autour d’un personnage que j’ai imaginé. Ce qui m’intéressais, c’était l’amour de cette femme pour son fils et les difficultés qu’elle pouvait rencontrer dans son travail.
Laure Calamy : Une fois de plus, ça réveille des sujets sur la liberté des femmes par rapport à leur propre corps.
Le personnage du fils (campé par Nissim Renard) est dans la recherche d’une voie à suivre et malgré leurs relations tendues, sa mère se présente comme un modèle.
Laure Calamy : Complètement, il y a une transmission et le film n’offre pas du tout un point de vue misérabiliste ou qui glamourise le personnage à outrance. Marie est une femme comme une autre mais aussi un vrai bulldozer, qui ne renonce pas. Il y a quelque chose de très vivifiant, de très galvanisant dans son énergie.
Le souffle du film se rapproche, selon moi, des films de Ken Loach que j’aime. C’est une épopée. S’y raconte l’histoire de cette femme et, dans le même temps, celle de plein de femmes qui élèvent leurs gosses seules, se débrouillent face à la vie, parlent haut et fort, comme dans les films italiens.
Laure Calamy – Une femme du monde | Copyright Tandem Films
Photo de couverture : Cécile Ducrocq et Laure Calamy – UNE CHOSE DU MONDE – Copyright Laura Pertuy
En salles le
08 décembre 2021
08 décembre 2021