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La fracture
Catherine Corsini à bout de souffle
Furieusement politique, La Fracture l’est assurément. Mais c’est aussi un huis clos burlesque en forme de catharsis, mis en scène dans un hôpital envisagé comme le dernier rempart à l’agitation du pays. Rencontre avec la réalisatrice Catherine Corsini, qui en parle avec passion.
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Furieusement politique, La Fracture l’est assurément. Mais c’est aussi un huis clos burlesque en forme de catharsis, mis en scène dans un hôpital envisagé comme le dernier rempart à l’agitation du pays. Rencontre avec la réalisatrice Catherine Corsini, qui en parle avec passion.
La fracture - Catherine Corsini à bout de souffle - ILLIMITÉ
On sait que le scénario s’inspire de votre propre expérience. Jusqu’où va l’autobiographie ?
Catherine Corsini : J’ai d’abord voulu réaliser un film qui soit frontalement politique. Rapidement, je me suis dit qu’il fallait trouver un moyen de me remettre en scène à l’intérieur pour éviter l’effet « pensum » et parler depuis mon point de vue. J’ai pensé aux films de Nanni Moretti et même à ceux de Charlie Chaplin, lequel avait cette manière astucieuse de faire un cinéma social. Il se trouve que j’ai réellement vécu ce bête accident et, avec ma compagne et productrice Elisabeth Perez, nous avons passé la nuit du 1er décembre 2018 aux urgences de l’hôpital Lariboisière. Je me souviens que l’accident est intervenu tandis qu’on s’engueulait à propos du mouvement des Gilets jaunes, qui avait déjà débuté. Je lui reprochais de trop regarder la télévision (rires). J’ai observé ces infirmier.e.s débordé.e.s, ces gens déboussolés, fatigués, angoissés, d’autant plus que c’était lors d’une nuit de manifestations. Avec ma main valide, j’ai appelé des copains et leur ai dit : « Ça y est, je crois que j’ai trouvé le point de départ du film. »
Quels défis impliquaient le fait de tourner dans un hôpital ?
Je me suis demandée : « Comment faire un film sous tension… mais dans une salle d’attente où, d’habitude, les gens s’ennuient ? ». Avec une actrice couchée et un acteur en fauteuil roulant… Quand j’ai commencé à tourner, j’en ai eu des sueurs froides. Je suis allée chercher une espèce d’énergie souterraine. Je leur disais : « Il peut toujours survenir quelque chose, vous êtes tout le temps filmés ! » Comme on tournait à l’épaule, je faisais dévier la caméra sur eux sans prévenir. On démarrait sur l’un, on finissait sur l’autre, on prenait les scènes en plein milieu… Des techniciens finissaient toujours dans le champ (rires). Je voulais que l’hôpital se transforme en cour des Miracles car c’est la réalité : quand j’y ai passé la nuit, j’y ai vu des choses complètement délirantes.
La Fracture: Marina Foïs, Valeria Bruni Tedeschi |Copyright CHAZ Productions
Vous avez justement déclaré que vous aimiez « perdre les acteurs » au tournage. C’est-à-dire ?
Avec Valeria Bruni-Tedeschi, on a surtout travaillé sur l’épuisement. En refaisant inlassablement les scènes, j’ai parfois senti qu’elle n’en pouvait plus, ce qui est très rare puisqu’elle est du genre inépuisable (rires). Je leur demandais aussi de se déplacer entre chaque prise, que ce soit physiquement ou émotionnellement, ce qui n’était pas évident pour eux. Ils me posaient la question des raccords, et je leur répondais : « On s’en fout ! ». Je n’ai pas pris de risques fous, je savais où j’allais, mais j’ai souhaité les déstabiliser au maximum afin de leur retirer leurs béquilles. Il y avait aussi le fait, pour eux, de jouer avec des non-acteurs comme Aïssatou Diallo Sagna [qui est aide-soignante, ndlr] ou de vrai.e.s infirmier.e.s parmi les figurant.e.s : ça les rassurait sur les gestes et, dans le même temps, c’est tout aussi déstabilisant puisque ceux qui n’avaient jamais tourné n’avaient pas les mêmes réflexes. Ça participe de ruptures qui, à la fin, créent une forme de vérité.
Raf, qui vous incarne, est un personnage aussi attachant qu’agaçant. Cette dualité vous est précieuse au cinéma ?
Disons qu’on est plus dans le vrai lorsqu’on ne magnifie pas ses personnages. Comme Raf me ressemble, j’avais envie de l’abîmer un peu. De pouvoir me moquer de ses excès et de sa mauvaise foi, voire de son égocentrisme… (rires). Lorsqu’elle donne à Yann le portrait de lui qu’elle a griffonné, c’est toutefois très élégant. Ça signifie que l’image qu’elle avait de lui au début s’est transformée. C’est ma grande question : comment aller les uns vers les autres aujourd’hui, dans une période où l’on est systématiquement dans l’opposition ?
La Fracture : Pio Marmai | Copyright CHAZ Productions
Vos personnages sont parfois très drôles. C’est indispensable de traiter de sujets graves avec une forme d’humour ?
Oui, car sinon j’ai l’impression qu’on me prend en otage. Si j’avais simplement montré que les violences policières sont atroces, que le personnel hospitalier est à bout et que mes héroïnes sont des connes, j’aurais réalisé un film cynique et foncièrement déplaisant. Pour moi, le devoir d’un.e cinéaste ne consiste pas seulement à montrer les choses telles qu’elles sont. Il faut ensuite se demander comment son regard va les éclairer : est-ce qu’il y a l’espoir d’une réconciliation ou est-ce qu’au contraire, c’est foutu ? Certes, je suis habitée par un certain pessimisme. Je fais partie de la génération qui a hérité de l’espèce d’utopie libertaire de mai 68 et je constate que le monde n’a pas évolué exactement comme je l’aurais souhaité dans ma jeunesse. Malgré tout, je ne veux pas céder à l’amertume, il n’y a rien de pire. Je considère que mon devoir est aussi de donner du courage : lorsqu’on sort du film, on a l’impression de sortir d’une cocotte-minute mais, d’un autre côté, un véritable échange a eu lieu.
« Je suis allée chercher une espèce d’énergie souterraine » – Catherine Corsini, réalisatrice
Valeria Bruni-Tedeschi et Marina Foïs dégagent une alchimie incroyable. Qu’est-ce qui vous a poussé à en faire un couple à l’écran ?
Il y a des miracles, parfois (rires). J’ai d’abord trouvé Valeria, qui a orchestré un savant mélange entre ma propre personnalité et la sienne. On s’est très bien entendues, sans doute parce qu’elle aimait beaucoup ce rôle qui, comme elle le dit si bien, n’a « pas de surmoi » : Raf dit tout ce qu’elle pense, sans filtre. Je pense que l’énergie et la rapidité du tournage ont agi sur elle et sur Marina comme un électrochoc puisque chaque jour, on avait l’angoisse de se demander si on serait autorisé à tourner le lendemain… Je leur ai dit : « Vous êtes un binôme. Il y a celle qui lâche et il y a celle qui tient. Celle qui veut partir et celle qui la rattrape. » Alors elles ont cultivé cet aspect comique, presque « Laurel et Hardy » entre elles. Elles ont tout de suite eu à cœur de se dire qu’elles formaient un couple : elles ont la cinquantaine, elles sont lesbiennes, elles vivent ensemble avec un enfant et ce n’est jamais un problème. C’était très important.
Plus le film avance et plus il semble emprunter au cinéma de genre. On pense presque aux films de zombies…
Avant le tournage, j’ai effectivement vu quelques films de genre comme Assaut de John Carpenter (1976) ou Un Après-midi de chien de Sidney Lumet (1975) ! Je me souviens de m’être promenée dans l’hôpital Lariboisière de nuit – il a fait figure de référence pour le décor – et d’avoir croisé un homme étrange au fond d’un couloir. Il était à moitié nu, dans sa blouse transparente… L’image était tellement forte que je l’ai remise dans le film. Même si les contraintes de la reconstitution m’ont empêchées de tourner dans de longs couloirs angoissants, j’aime l’idée du genre au cinéma. On me dit souvent que mon film est réaliste car je me concentre sur l’humain mais, en réalité, cette nuit ne l’est pas complètement ; lorsque l’hôpital est encerclé avec toute cette fumée, on se croirait chez Carpenter. Prenez Certains l’aiment chaud de Billy Wilder (1959) : il y a un mélange de comédie, de polar, de burlesque… C’est très imagé, de la même façon que le sont les dialogues de Yann, le Gilet jaune. Les personnages populaires, dans le cinéma des années 1950, avaient souvent ce phrasé très riche. J’avais envie de mettre des mots poétiques dans sa bouche, pour le ramener à une forme de candeur comme pour valoriser son plaisir de la langue.
Photo de couverture Catherine Corsini / Copyright CHAZ Productions
En salles le
27 octobre 2021
27 octobre 2021